Il y a quatre ans, Mario Fiorini a été accusé d’avoir tué son bébé en le secouant. Il a été placé sur écoute électronique. Il a été détenu. Sa photo a été publiée dans le journal. Puis, toutes les accusations ont été abandonnées après que le diagnostic du neurologue traitant, que personne n’avait pris en compte, a été dévoilé en cour. Le poupon serait mort des complications d’une maladie que les médecins ont échoué à dépister à temps, croit-il.

De l’avis du DGuillaume Sébire, neurologue spécialiste des traumatismes crâniens non accidentels et des accidents vasculaires cérébraux de l’enfant et témoin expert devant les tribunaux de plusieurs pays, le cas n’est pas unique. Il y a, au Québec et ailleurs, un surdiagnostic du syndrome du bébé secoué, dit-il en entrevue avec La Presse. Des parents sont « fort probablement accusés à tort » (voir autre texte).

Les parents et les grands-parents du petit Lorenzo Fiorini, mort le 13 juin 2019, poursuivent le Centre multiservices de santé et de services sociaux de Sainte-Agathe, la pédiatre de leur fils, une médecin de l’Hôpital de Montréal pour enfants ainsi que quatre enquêteurs de la Sûreté du Québec pour un peu plus de 1 million de dollars.

Une mort nébuleuse

Encore aujourd’hui, les circonstances entourant la mort et l’enquête sur le petit Lorenzo sont floues.

Le bébé avait 4 mois lorsqu’il a été transféré de l’hôpital de Sainte-Agathe vers l’Hôpital de Montréal pour enfants. Ses parents l’avaient amené deux fois aux urgences de Sainte-Agathe, la veille. Il vomissait, sa température était anormale, il était inconsolable. Ils avaient été renvoyés à la maison.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Le petit Lorenzo Fiorini est mort le 13 juin 2019.

Le 9 juin 2019, à leur troisième visite aux urgences, le garçon avait des convulsions si intenses que l’équipe médicale n’a pas réussi à les maîtriser. À son arrivée à Montréal, il était trop tard. Il souffrait d’une grave hémorragie. Les dommages au cerveau étaient irréversibles. Les parents ont pris la difficile décision de mettre fin aux traitements.

Puisque les symptômes de Lorenzo correspondaient à ceux d’un bébé secoué, il a été examiné par une médecin de l’équipe de la protection de l’enfance de l’hôpital. Elle a conclu que le jeune patient était bien mort des suites du syndrome du bébé secoué et a signalé le cas à la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ).

Le DGuillaume Sébire était le neurologue de garde lors de l’hospitalisation de Lorenzo aux soins intensifs. Il a émis un autre avis. Selon lui, le bébé souffrait d’une maladie dont souffre aussi sa mère : une hypertension intracrânienne causée par un excès de liquide dans les méninges. Il était à risque d’hémorragie. Lorenzo avait été échappé par son père alors qu’il était dans son siège d’auto quelques jours plus tôt. Le choc aurait pu déclencher les saignements cérébraux qui ont entraîné sa mort.

Pourtant, selon la poursuite, ce diagnostic divergent ne semble pas avoir été inclus dans le signalement fait aux autorités. Un rapport de la clinique de protection de l’enfance de l’Hôpital de Montréal pour enfants consulté par La Presse n’en fait pas mention non plus.

Cette omission aura ensuite percolé tout au long de l’enquête, autant policière que médicale. Même les parents n’étaient pas au courant de la possible maladie de leur garçon avant le témoignage du DSébire devant la cour, deux ans plus tard.

Le neurologue indique n’avoir jamais été interrogé par la police.

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Lorenzo Fiorini

Le rapport du pathologiste, produit quelques jours après la mort et que La Presse a obtenu, confirme le diagnostic de bébé secoué. Mais il ne fait pas mention de l’avis du DSébire. Au contraire, le pathologiste écrit « que les investigations faites à l’hôpital n’ont pas révélé de prédisposition antérieure de cet enfant à développer spontanément ce genre de lésions ».

Le coroner, dont le rapport a été déposé en septembre 2023, conclut également à un traumatisme non accidentel à la tête.

Une évaluation médicale exhaustive a cherché à éliminer toutes les causes naturelles possibles pour expliquer les lésions cérébrales de l’enfant, et ce, sans succès.

Extrait du rapport du coroner sur la mort du petit Lorenzo

Le coroner n’a pas répondu à nos demandes d’entrevue. Nous souhaitions savoir s’il avait eu accès aux notes du DSébire et, si oui, pourquoi il a choisi de ne pas en faire mention, même pour les écarter.

Des mois d’enquête

L’enquête sur la mort de Lorenzo a commencé avant même qu’il ait rendu son dernier souffle.

Alors qu’ils s’apprêtent à accompagner leur fils vers la mort, trois jours après son hospitalisation, les parents, Mario Fiorini et Sarah Galuppi, sont longuement interrogés à l’hôpital par des enquêteurs de la Sûreté du Québec.

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Mario Fiorini a été accusé à tort d’avoir secoué son bébé, causant sa mort.

« [Le policier] me dit : ‟J’espère que tu sais qu’on va devoir faire une autopsie sur Lorenzo, ce qui veut dire qu’il va falloir envoyer des bouts de son corps partout au Québec. Mais je te promets de te ramener chacun des morceaux”, se souvient la maman. Mon fils n’est pas encore décédé et il me dit ça. Me semble que c’est quelque chose que tu ne dis pas à un parent. » Quelques heures plus tard, le poupon s’éteint dans ses bras.

Lorsque les parents retournent chez eux, la maison est sens dessus dessous. Les enquêteurs viennent d’y mener une perquisition. La chambre du poupon n’a pas été épargnée. Le matelas est au sol. Les tiroirs sont ouverts. Le plancher est jonché de vêtements et de jouets.

C’était tout en bordel. Ça ressemblait à une descente comme ils font en prison.

Mario Fiorini

Dans les mois suivants, les parents et les grands-parents seront interrogés. Certains éléments attisent les soupçons des enquêteurs. Notamment, « bébé secoué » fait partie de l’historique de recherche des parents avant la mort de leur fils. C’est en faisant des recherches sur la cause des pleurs incessants de Lorenzo que Google les a dirigés vers ce sujet, disent-ils.

Des micros seront placés dans la maison familiale et la photo et le nom de Mario Fiorini seront fournis par la police à un média pour faire bouger l’enquête. Dans la foulée de l’article, Sarah Galuppi perd son emploi en comptabilité dans un grand centre de ski des Laurentides.

Questions sans réponses

Pendant tout ce temps, les parents de Lorenzo n’arrivent pas à avoir de réponses à leurs questions. Ils demandent en vain de connaître les résultats de l’autopsie. Dans leur tête comme dans celle de la police, leur fils est mort après avoir été secoué. Le couple se soupçonne mutuellement, mais soupçonne aussi des membres de la famille qui ont gardé le bébé avant sa mort. La famille s’entredéchire.

Le 18 décembre, les parents sont arrêtés et interrogés à nouveau. Selon la poursuite, Mme Galuppi est interrogée 11 heures durant et son conjoint, pendant 12 heures. Des demandes répétées pour consulter un avocat auraient été ignorées. Sarah Galuppi raconte que les policiers lui ont demandé d’enregistrer une vidéo dans laquelle elle dit à son amoureux « qu’il pouvait avouer, qu’elle allait rester avec lui et lui faire d’autres enfants ».

Mario Fiorini affirme s’être fait répéter « soit tu la coules, soit tu prends le blâme », et « il va falloir que le chapeau fasse à quelqu’un ». Il finit par avouer les gestes qu’on lui reproche.

À un moment donné, je me suis senti au pied du mur. J’ai dit quelque chose comme : ça doit être ça.

Mario Fiorini

Les enquêteurs lui donnent une poupée et lui demandent de mimer les gestes faits sur son fils. Il est formellement accusé et incarcéré. Il le restera cinq jours, jusqu’à ce que la famille paye une caution de 10 000 $.

Vision tunnel

La défense s’organise. Le père passe un test de polygraphe. Résultat : « M. Fiorini n’a en aucun temps causé des blessures ou secoué Lorenzo ». Précisons qu’un polygraphe ne fait pas office de preuve en cour. « Il n’y a aucune chance que ce gars-là ait tué quelqu’un, encore moins son fils », réitère le polygraphiste, Jacques Landry, lui-même un ancien de la Sûreté du Québec, en entrevue avec La Presse. Il dénonce une enquête « démesurée » et une vision tunnel de la part des policiers.

Pour les parents, le témoignage du DGuillaume Sébire lors de l’enquête préliminaire en 2021 change tout. D’abord, ils entrevoient pour la première fois la possibilité que leur garçon n’ait pas été maltraité. Mais aussi, qu’il aurait pu être sauvé.

En effet, le neurologue mentionne dans son rapport avoir retrouvé dans l’historique médical plusieurs indices qui auraient pu sonner l’alerte. D’abord, la courbe du périmètre crânien de Lorenzo, mesuré lors de plusieurs visites médicales depuis sa naissance, montrait que le crâne grossissait trop vite. Ensuite, Lorenzo souffrait de vomissements en jets depuis des mois, qui avaient été mentionnés plusieurs fois à la pédiatre. Sur une photo, on voit que le bébé avait un regard en « coucher de soleil », soit les pupilles basses. Tous des symptômes qui, mis ensemble, pointent vers une hypertension intracrânienne.

Il y a eu un défaut de reconnaissance de son hypertension intracrânienne chronique, non seulement au cours des évènements du 8-9 juin [2019 à Sainte-Adèle], malgré plusieurs consultations à l’urgence à l’initiative de parents légitimement inquiets, mais aussi auparavant.

Extrait du rapport du Dr Guillaume Sébire, neurologue, soumis au tribunal

Les accusations contre Mario Fiorini seront officiellement retirées en mars 2023.

La Sûreté du Québec, le CISSS des Laurentides et l’Hôpital de Montréal pour enfants n’ont pas souhaité commenter ce dossier, puisque des procédures judiciaires civiles sont en cours.

Une version précédente de ce texte disait que les parents de Lorenzo l'ont amené à l'urgence de l'hôpital de Ste-Adèle avant sa mort. Il s'agit plutôt de l'hôpital de Ste-Agathe.