Une Montréalaise qui a fait une chute sur un trottoir en se dirigeant vers sa voiture devra être indemnisée par la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ), a récemment décidé la justice.

La décision est un nouvel élargissement de ce qui constitue un « accident automobile » et pourrait susciter des réclamations de milliers de Québécois qui se blessent chaque année en tombant en route vers leur auto, sur la glace, par exemple.

En 2015, Sondra Sherman sort d’un bureau de poste en portant un paquet et se dirige vers le coffre de sa voiture lorsque son pied passe à travers une bouche d’égout brisée, à Montréal. Sa jambe « s’enfonce dans la cavité jusqu’à la cuisse » et subit des blessures sérieuses, a rapporté un juge de la Cour du Québec, en 2021. Elle n’était pas en contact physique avec sa voiture et son coffre était toujours fermé.

Le magistrat a déterminé que comme elle se dirigeait vers son coffre au moment de l’accident, « le préjudice que la demanderesse a subi est un accident d’automobile au sens de la Loi ». « Seule la Société de l’assurance automobile a compétence pour indemniser la demanderesse », continue la décision.

Mme Sherman aurait préféré être indemnisée par la Ville de Montréal, qu’elle poursuivait pour 15 000 $. Ce sont les avocats municipaux qui ont forcé la SAAQ à s’impliquer dans le dossier en faisant valoir qu’il s’agissait d’un accident automobile. La justice leur a donné raison.

La décision de la Cour du Québec a été confirmée par le juge Marc St-Pierre, de la Cour supérieure, le 11 janvier dernier. « La victime descendait du trottoir pour placer son paquet dans le coffre, ce n’est pas seulement une intention, mais c’est un fait », a-t-il écrit.

« La Société de l’assurance automobile du Québec prend acte du jugement et ne fera pas de commentaires sur ce dossier », a indiqué son porte-parole, Gino Desrosiers.

« Un cauchemar » pour la SAAQ

La décision concernant les blessures de Mme Sherman n’est que le dernier élargissement en date de la définition des évènements qui doivent faire l’objet d’une indemnisation par la SAAQ.

« C’est certain que pour la SAAQ, c’est un cauchemar. Parce qu’ils voient la notion d’accident [s’élargir] de plus en plus », analyse Marc Bellemare, ex-ministre de la Justice et avocat spécialisé en droit administratif. Lui-même se bat fréquemment pour qu’on donne une définition plus large d’« accident automobile ».

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Marc Bellemare, ex-ministre de la Justice et avocat spécialisé en droit administratif

En 2012, la Cour suprême du Canada a jugé qu’un homme tué par un arbre tombé sur sa voiture avait été victime d’un accident d’automobile.

« Il faut donner une interprétation large et libérale à la Loi » sur la SAAQ, ont tranché les juges, en expliquant que tout accident lié à l’usage d’une auto était un accident d’auto.

« Depuis ce temps-là, il y a une flambée », a dit MBellemare. « C’est certain que ça donne une meilleure couverture aux accidentés. » La décision rendue dans le dossier de Mme Sherman ouvre une nouvelle frontière en matière d’indemnisation, a-t-il indiqué.

Parce que dans les dernières années, les tribunaux inférieurs ont suivi. En 2013, un homme tué dans l’écroulement d’un stationnement souterrain a été considéré comme un accidenté de la route. En 2018, la justice a ordonné à la SAAQ d’indemniser un homme qui s’était blessé en déneigeant sa voiture. En 2023, un homme s’étant infligé de graves engelures en allant chercher des secours après une sortie de route a aussi été considéré comme un accidenté de la route.

Chaque fois, la SAAQ s’est battue contre l’élargissement de son mandat.

L’organisation n’a pas souhaité commenter cette situation.

« Un couteau à double tranchant »

L’élargissement de la définition d’accident automobile n’est toutefois pas une bonne nouvelle pour toutes les victimes.

Plusieurs, comme Mme Sherman, auraient préféré poursuivre la personne, l’entreprise ou la municipalité qu’ils estiment fautive plutôt que de se contenter d’indemnités de la SAAQ. Ces dernières sont souvent moins généreuses que les dédommagements ordonnés par la justice pour des blessures comparables.

Mais le régime québécois d’assurance automobile « sans égard à la responsabilité » (no fault) interdit toute poursuite pour un dommage corporel lié à un accident d’auto. Seule la SAAQ peut être tenue responsable.

« C’est un couteau à double tranchant », a expliqué MMarc Bellemare.

Par exemple, la famille de l’homme tué dans l’écroulement d’un stationnement souterrain croyait pouvoir obtenir un dédommagement dix fois plus important en poursuivant le propriétaire des lieux qu’en se contentant du chèque de la SAAQ.