(Ottawa) Les contrats de toutes les entreprises fondées par les associés de GC Strategies seront examinés par les élus. L’entreprise fait les manchettes depuis qu’elle a été montrée du doigt la semaine dernière dans un rapport de la vérificatrice générale sur le fiasco financier entourant l’application ArriveCAN. Les conservateurs veulent forcer ses deux fondateurs à témoigner pour la troisième fois en comité parlementaire.

Avant de fonder GC Strategies en 2015, Kristian Firth et Darren Anthony avaient une autre entreprise nommée Coredal Systems Consulting qui a également obtenu des contrats de certains ministères fédéraux. La plupart de ces contrats ont été octroyés par Transports Canada, selon les informations disponibles dans les données ouvertes du gouvernement.

Une motion soumise mardi avant-midi par la députée libérale Iqra Khalid pour que le comité permanent des comptes publics de la Chambre des communes élargisse son étude a fini par être adoptée à l’unanimité mardi après que des députés conservateurs l’aient accusée de tenter de faire dévier le sujet.

« Nous devons aller au fond des choses », a-t-elle fait valoir. Elle a ajouté que les élus devaient « comprendre quelle est cette organisation et pourquoi elle a pu fonctionner pendant tant d’années sous différents noms et différents contrats. »

Le Journal de Montréal rapportait la semaine dernière que Coredal Systems Consulting avait obtenu neuf contrats d’une valeur totale de 3,6 millions de Transports Canada entre 2010 et 2015, la plupart pour des services d’expert-conseil en technologie de l’information. Les conservateurs formaient alors le gouvernement sous Stephen Harper.

La Presse est arrivée au même résultat après une compilation des contrats disponibles dans le site de données ouvertes du gouvernement fédéral.

Nous avons demandé au ministère des Services publics et de l’Approvisionnement (SPAC), à Transports Canada, à Pêches et Océans Canada ainsi qu’au ministère des Ressources naturelles, le nombre et le montant total des contrats accordés à Coredal Systems Consulting. Ils n’étaient pas en mesure de fournir cette information au moment où ces lignes étaient écrites.

Seule l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a répondu qu’elle n’avait octroyé aucun contrat à Coredal Systems Consulting.

Les données publiques sur les contrats de plus de 10 000 $ octroyés par le gouvernement ont été remises en question la semaine dernière après que La Presse eut rapporté que les contrats fédéraux de GC Strategies totalisaient 258 millions depuis l’élection des libéraux au gouvernement en 2015. Il y a confusion au sein de l’appareil gouvernemental puisque ni SPAC, ni le ministre Jean-Yves Duclos, ni les documents soumis au Parlement censés permettre au public de voir comment leur argent est dépensé ne permettent d’établir un portrait clair.

Le ministère soutient que la valeur totale des contrats accordés à GC Strategies est moins élevée, évoquant la somme de 59,8 millions pour 34 contrats. Cette somme est loin d’être exhaustive puisque plusieurs ministères ayant des pouvoirs discrétionnaires ont accordé des contrats à GC Strategies sans avoir recours aux services de SPAC.

Le montant atteint plutôt 96 millions de dollars entre novembre 2015 et novembre 2023, selon une réponse écrite à une demande de renseignement soumise à la Chambre des communes par le député conservateur Michael Barrett. La compilation a été réalisée par tous les ministères et agences fédérales et dûment signée par les ministres responsables.

À la lumière de ces nouvelles informations, les conservateurs veulent faire parvenir une assignation à témoigner à MM. Firth et Anthony au comité permanent des opérations gouvernementales et des prévisions budgétaires de la Chambre des communes qui examine les dépassements de coûts entourant l’application ArriveCAN. Ceux-ci ont déjà répondu aux questions des parlementaires à deux reprises, mais avaient décliné une troisième citation à témoigner en décembre invoquant des problèmes de santé mentale.

À l’instar du pouvoir d’assignation dont disposent les tribunaux, les comités parlementaires détiennent des pouvoirs importants. Ils peuvent notamment forcer des témoins à comparaître, a rappelé le leader en Chambre du Parti conservateur, le député Andrew Scheer. « Si GC Strategies défie cet ordre parlementaire, le sergent d’armes aura pour instruction d’arrêter les propriétaires de GC Strategies et de les traîner devant le Comité. Cette mesure drastique est rarement utilisée, mais elle est nécessaire compte tenu de l’abus de l’argent des contribuables », a-t-il ajouté.

M. Scheer a présenté une motion en ce sens à la réunion du comité mardi après-midi. Une version amendée de la motion prévoyant notamment que des démarches soient entreprises pour faire comparaître les témoins après un délai de 21 jours avait l’appui du Parti conservateur, du Nouveau Parti démocratique et du Bloc québécois. Mais les députés libéraux ont étiré leur temps de parole jusqu’à la fin prévue de la réunion sans que la motion ne soit mise au voix.

Il s’agit d’un pouvoir rarement utilisé. La dernière citation à comparaître remonte en 2007 lorsque l’homme d’affaires Karlheinz Schreiber avait été convoqué dans l’affaire Airbus alors qu’il purgeait une peine de prison. Il était arrivé menotté.

Un autre comité parlementaire, celui des comptes publics, se penche déjà sur l’ensemble des contrats accordés par les ministères, agences et sociétés d’État non seulement à GC Strategies, mais également à Dalian et Coradix. Ces deux firmes fonctionnent parfois en coentreprises pour obtenir des contrats du gouvernement fédéral.

Dalian est celle qui a eu la deuxième somme la plus importante pour le développement de l’application ArriveCAN, soit 7,9 millions, après GC Strategies qui a obtenu 19,1 millions. Comme pour GC Strategies, il s’agit d’une entreprise de deux employés qui obtient des contrats et sous-traite ensuite le travail à d’autres entreprises. GC Strategies fait partie de ses sous-traitants, mais elle sous-traite elle aussi le travail ensuite à des spécialistes des technologies de l’information.

C’est ce qui s’est produit dans le cadre d’un contrat avec l’ASFC avant la pandémie. La firme montréalaise Botler AI, qui a été approchée par GC Strategies pour développer un robot conversationnel sur le harcèlement au travail, allègue que les paiements qu’elle devait recevoir de GC Strategies sont passés entre les mains de Dalian et Coradix avant de lui être versés. Une situation qu’elle a dénoncée.

La Gendarmerie royale du Canada (GRC) a confirmé avoir ouvert une enquête à la suite des allégations de Botler AI. Elle s’intéresse également au rapport de la vérificatrice générale sur ArriveCAN dans le cadre de cette enquête. L’ASFC, qui mène également sa propre enquête interne, a transféré des informations à la GRC. Deux employés ont été suspendus depuis.

ArriveCAN : plus de 2000 personnes veulent joindre un recours collectif

Un cabinet d’avocat a lancé un recours collectif contre le gouvernement fédéral au nom des gens qui ont dû effectuer inutilement une quarantaine obligatoire durant la pandémie de COVID-19 en raison de problèmes avec l’application ArriveCAN. Selon le commissaire à la vie privée, environ 10 200 personnes ont reçu des notifications erronées pour se mettre quarantaine. « Un, ce n’est pas un incident isolé et, deux, il y a eu une erreur ou une omission pour s’assurer que l’application fonctionnait correctement », a expliqué l’avocat Jeff Orenstien en entrevue. « Nous considérons qu’il y a eu négligence de la part du Procureur général du Canada. » Le recours a été déposé en Cour fédérale lundi et depuis plus de 2000 personnes ont indiqué vouloir s’y joindre. Il devra être autorisé par le tribunal.