(Ottawa) Une unité du gouvernement fédéral chargée d’empêcher les criminels de guerre d’entrer au Canada n’a pas publié de rapport sur ses activités depuis plus de huit ans, et son budget n’a pas été ajusté depuis plus de deux décennies.

Le Programme sur les crimes de guerre a pour mandat d’empêcher le Canada de devenir un refuge pour les personnes accusées d’avoir commis des atrocités, notamment des génocides et des crimes contre l’humanité.

Il s’agit d’un effort conjoint des ministères de la Justice et de l’Immigration, de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et de l’Agence des services frontaliers du Canada.

Entre le lancement du programme en 1998 et 2008, il a rendu compte chaque année de ses activités, documentant des centaines de cas dans lesquels des criminels de guerre présumés ont fait l’objet d’enquêtes, ainsi que les résultats de ces enquêtes.

Depuis lors, l’organisme n’a produit que deux rapports et plus aucun depuis 2015. Interrogé sur les données manquantes, un porte-parole n’a pas fourni de raison pour l’absence de rapports.

« Le Programme sur les crimes de guerre travaille actuellement à moderniser ses pratiques de compte-rendu public en collectant des données de 2016 à aujourd’hui en vue de mettre à jour le site web », a annoncé Ian McLeod dans un courriel.

Il a également indiqué que le budget annuel s’élève à 15,6 millions. Il s’agit de la même allocation que le programme a reçue chaque année entre 1998 et 2015, selon les rapports publiés.

David Matas, avocat principal de B’nai Brith Canada, a souligné que le manque de rapports constitue un problème.

Mais il a ajouté que ce n’était pas vraiment surprenant, car le programme a également souffert d’un manque de financement.

« C’est une triste histoire, a déclaré M. Matas dans une entrevue. Ils n’ont pas grand-chose à signaler. Ou on pourrait dire qu’à la lumière du sous-financement, les choses n’ont pas beaucoup changé. »

3721 personnes empêchées d’entrer

Le programme est né environ 11 ans après un rapport de la Commission Deschênes sur les criminels de guerre.

La commission a été lancée en 1985 à la suite de la publication d’articles dans des journaux au Canada et aux États-Unis selon lesquels le célèbre médecin nazi Josef Mengele avait demandé le statut d’immigrant reçu au Canada.

Bien qu’elle ait finalement conclu que Mengele n’avait pas cherché à entrer au Canada, elle a trouvé des preuves selon lesquelles des centaines d’anciens nazis pourraient vivre au Canada et a recommandé des enquêtes plus approfondies.

Au début, le ministère de la Justice et la GRC ont créé des sections spéciales pour traiter les crimes de guerre, mais en 1998, le véritable programme sur les crimes de guerre a été lancé, impliquant le ministère de l’Immigration. L’Agence des services frontaliers du Canada s’y est jointe en 2003.

Le programme comportait deux volets différents, dont un traitant des cas de la Seconde Guerre mondiale et un autre pour ce qu’il considérait comme des cas « modernes », ou des évènements survenus plus tard.

Les rapports disponibles montrent qu’en 2008, le Canada avait enquêté sur plus de 1800 cas liés à la Seconde Guerre mondiale, et que 28 d’entre eux avaient donné lieu à des mesures, notamment des tentatives de poursuites, de révocation de la citoyenneté ou d’expulsion.

La plupart de ces personnes sont mortes avant la conclusion des dossiers, mais la citoyenneté a été révoquée dans cinq cas, deux personnes ont été expulsées et deux sont parties volontairement.

En 2007, le Programme sur les crimes de guerre avait examiné plus de 33 000 cas impliquant des allégations de crimes de guerre « modernes », y compris des personnes essayant de venir au Canada et celles déjà là.

Le programme a déclaré avoir empêché l’entrée de 3721 personnes, refusé les demandes d’asile à près de 600 personnes et expulsé 443 personnes.

Les efforts du Canada pour expulser ou poursuivre les criminels de guerre font l’objet d’une surveillance accrue depuis que le Parlement a applaudi, en septembre dernier, un homme qui a ensuite été identifié comme ayant combattu avec une unité nazie en Ukraine pendant la Seconde Guerre mondiale.

Cet examen comprenait de nouveaux appels au gouvernement pour qu’il publie intégralement toutes les pages du rapport Deschênes et de ce que l’on appelle le rapport Rodal, un récit historique des criminels de guerre au Canada rédigé pour la commission Deschênes par l’historien Alti Rodal.

Les deux rapports ont été publiés par bribes au cours des trois dernières décennies, y compris 15 nouvelles pages du rapport Rodal non expurgées par le ministre de l’Immigration, Marc Miller, au début du mois.

David Matas, qui fait pression depuis des années pour la publication des rapports complets, a déclaré que le Canada doit apprendre ce qu’il a fait de mal auparavant pour empêcher que l’histoire ne se répète.

Le pays a toujours du mal à admettre les criminels de guerre accusés, a-t-il expliqué, et l’une des raisons pour cela est que « nous n’avons pas publié ces informations ».

M. Miller a déclaré à La Presse Canadienne la semaine dernière que, comme le Canada n’a pas de régime officiel de déclassification régissant la manière dont les documents historiques sont déclassifiés et rendus publics, il doit examiner les rapports et décider de ce qui sera publié de manière ponctuelle.

« La décision est entre mes mains », a-t-il dit.

Il a affirmé avoir demandé au Programme sur les crimes de guerre d’examiner quel filtre a été appliqué à chaque rapport jusqu’à présent, quels éléments n’ont toujours pas été divulgués et quels intérêts juridiques doivent encore être protégés.

Mais il a ajouté que divulguer la liste des noms des personnes accusées de crimes de guerre dans le rapport Deschênes est délicat, car cela pourrait nuire aux familles des accusés.

« C’est une considération qui ne doit pas être exagérée ou minimisée, mais existe-t-il une protection des personnes décédées et de leurs familles, qui pourraient être dénigrées ? », interroge M. Miller.

« Et ils porteraient les péchés de leurs pères, vraisemblablement, qui peuvent ou non avoir commis des crimes de guerre. C’est donc une considération très sensible que nous devons examiner. »

M. Matas a déclaré que ce n’est pas ainsi que fonctionne le système judiciaire canadien.

« La publicité est l’âme de la justice », a-t-il argué.

« Lorsque les tribunaux sont ouverts, c’est la justice elle-même qui est jugée. L’idée selon laquelle les tribunaux devraient être fermés parce que cela pourrait embarrasser les parents ou les descendants des personnes jugées est absurde. »