Le cahier de breffage préparé pour Jean-Yves Duclos à son arrivée en poste ne faisait pas mention de l’application

(Ottawa ) Le ministre des Services publics et de l’Approvisionnement, Jean-Yves Duclos, a été tenu dans l’ignorance par les fonctionnaires de son propre ministère sur la controverse entourant les dépassements de coût de l’application ArriveCAN quand il est arrivé en poste l’été dernier.

Ce dossier, qui faisait déjà les manchettes depuis dix mois, est en effet passé totalement sous silence dans le cahier de breffage préparé par les fonctionnaires et qui a été remis au ministre Duclos quand il a été muté à ce poste en juillet 2023, à la suite du remaniement ministériel qu’a effectué le premier ministre Justin Trudeau.

La Presse a consulté l’ensemble du cahier de breffage remis au ministre. Le dossier ArriveCAN n’est pas mentionné une seule fois, même si la vérificatrice générale Karen Hogan avait déjà entrepris une enquête sur cette affaire à la suite de l’adoption d’une motion à la Chambre des communes en novembre 2022.

Le gouvernement Trudeau est d’ailleurs sur la défensive depuis que Mme Hogan a publié récemment un rapport dévastateur sur le fiasco financier entourant la conception de l’application ArriveCAN. Depuis, le ministre Duclos est envoyé au front afin de répondre aux questions incisives des partis de l’opposition.

Dans son rapport, Mme Hogan a notamment relevé des irrégularités dans les contrats totalisant 19,1 millions qui ont été accordés à GC Strategies uniquement pour le développement d’ArriveCAN. C’est près du tiers des 59,5 millions qu’a fini par coûter l’application servant à recueillir les coordonnées et le statut vaccinal des voyageurs à leur arrivée au Canada durant la pandémie. Sa version initiale avait un budget total de 80 000 $.

Plusieurs de ces contrats ont été accordés par l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) sans appels d’offres. Mais l’ASFC a obtenu le feu vert de Services publics et Approvisionnement Canada (SPAC) pour emprunter une telle voie rapide durant la pandémie.

Un document clé

Le cahier de breffage, ou cahier de transition, représente un document de la plus haute importance pour tout nouveau ministre ou toute nouvelle ministre qui arrive en poste. En principe, il offre un survol complet des grands dossiers de l’heure et à long terme, ainsi que des informations cruciales sur le fonctionnement du ministère. Dès sa nomination, le cahier de breffage devient le livre de chevet du nouveau ministre.

Dans le cahier de breffage remis au ministre Duclos, les fonctionnaires ont d’ailleurs préparé une section portant sur les « Dossiers délicats ». On y aborde une dizaine de dossiers, notamment la Stratégie nationale de construction navale, qui devait être élargie afin d’y inclure le chantier Davie.

L’achat de 88 avions de chasse F-35, pour remplacer la flotte vieillissante des CF-18, est bien expliqué, tout comme le remplacement des avions de surveillance CP-140 Aurora par 16 avions P-A8 Poseidon.

Le nouveau programme canadien de soins dentaires est aussi mentionné, bien que ce dossier relève prioritairement du ministère de la Santé. SPAC avait alors le mandat de trouver des fournisseurs pour l’aider à gérer le programme.

Le ministre Duclos a également reçu des informations sur la controverse entourant la forte augmentation des contrats accordés par le gouvernement Trudeau à la firme de consultants McKinsey & Company depuis son arrivée au pouvoir.

Le ministre a même été informé de l’évolution du projet de remplacement du pont Alexandra, qui enjambe la rivière des Outaouais entre Ottawa et Gatineau. Il a eu droit à une mise à jour du dossier de la voie de contournement de Lac-Mégantic, et de la possibilité que le gouvernement fédéral devienne propriétaire de la rue Wellington, en face du parlement, en versant une somme à la ville d’Ottawa, afin d’éviter un grabuge comme celui du « convoi de la liberté » à l’hiver 2022. Mais le dossier ArriveCAN n’est guère sur l’écran radar.

Inacceptable, dit le Bloc

Le Bloc québécois juge totalement inacceptable que ce dossier ait été écarté du cahier de breffage.

« Le gouvernement a manqué à son devoir d’exercer une saine gestion des finances publiques. Même en toute connaissance des allégations de dépassements de coût d’ArriveCAN, le gouvernement n’a pas cru bon d’identifier cette problématique sur l’écran radar du nouveau ministre. Nous réitérons notre demande : une enquête indépendante sur ce scandale de plus de 60 millions, la mise sous tutelle de l’Agence des services frontaliers et le recouvrement des sommes pour lesquelles les contribuables ont largement trop payé », a déclaré la députée Julie Vignola, porte-parole du Bloc québécois en matière d’approvisionnements et de services publics.

Invité à commenter cette omission, le ministère des Services publics et de l’Approvisionnement n’avait pas donné suite à la demande de La Presse au moment où ces lignes étaient écrites. Le bureau du ministre Duclos n’a pas fourni de commentaires non plus.

Avec la collaboration de William Leclerc, La Presse