La Belge Colette de Troy essaie sans succès d’obtenir une autorisation de voyage pour venir rendre visite à ses amis à Montréal

En immigration, il y a parfois des situations dramatiques. Mais il y a aussi des histoires kafkaïennes, qui permettent d’illustrer l’incohérence du système d’accueil canadien. L’histoire de Colette de Troy est l’une d’elles.

Cette Belge de 73 ans essaie sans succès d’obtenir une autorisation de voyage électronique (AVE), pour venir voir ses « vieux amis » à Montréal. Une formalité qui se règle habituellement en quelques heures, pour les pays dispensés de l’obligation de visa pour entrer au Canada, comme la France et la Belgique. Mais dans son cas, ça dure depuis des semaines. Elle n’a pas pu s’envoler comme prévu le 12 mars. Son billet d’avion ? « Foutu. »

Mme de Troy est pourtant une habituée du Québec. Elle a habité ici pendant cinq ans, de 1978 à 1983, et a obtenu la résidence permanente. Elle travaillait pour l’Université de Montréal, d’abord en recherche, puis à la faculté de l’éducation permanente. Depuis son retour à Bruxelles, elle est venue à Montréal à quelques reprises pour de courts séjours. La dernière fois, c’était en 2014.

« À l’époque, il ne fallait pas d’AVE », explique-t-elle en entrevue téléphonique. « Il suffisait de se présenter avec son passeport belge à la frontière. Et clac, ils mettaient un tampon, et c’est tout. Donc, je n’ai jamais eu le moindre problème. »

Mme de Troy a fait sa demande d’AVE en ligne le 26 février. Elle a reçu un premier courriel en confirmant la réception. « Puis, un autre message qui dit qu’il faudrait que j’envoie des documents en plus, dit-elle : photo de passeport, formulaire de renonciation à ma résidence permanente, etc. À partir de là, c’était Kafka ! »

À deux reprises, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) lui a demandé de renvoyer les formulaires, sans lui fournir d’explications. À force de chercher, elle a compris que sa photo n’était pas dans le bon format : JPEG. Mais pour le formulaire de renonciation, elle ne sait pas.

« Ils ne disent pas ce qui ne va pas. Ils demandent juste de renvoyer le formulaire », précise-t-elle.

Résultat, ça bloque. Et pas moyen de parler à un fonctionnaire.

Mme de Troy assure avoir tout essayé : « J’essaie d’avoir des contacts ici à l’ambassade du Canada à Bruxelles, c’est absolument impossible. J’ai été accueillie par des gardes de sécurité qui m’ont dit que tout ce qui était visa, c’était traité à l’ambassade du Canada à Paris. J’ai essayé de téléphoner à l’ambassade de Paris, ce n’est pas possible non plus quand on n’est pas canadien. Et pour le reste, ils renvoient au site… Donc, on se mord la queue, quoi. »

Ses amies de Montréal ont aussi écrit à leur député pour essayer de faire bouger les choses. En vain.

« Je trouve que c’est quand même scandaleux de me refuser l’entrée, s’exclame Mme de Troy. C’est aussi mon droit d’aller visiter le Québec. J’ai tout ce qu’il faut. Là, je suis bloquée par une machine. Je n’ai jamais eu la moindre notion qu’il pourrait y avoir quelqu’un [derrière la machine]. Moi, je suis quasiment traumatisée. Se battre avec une machine, c’est l’horreur. Ce qui est fou, c’est qu’il n’y a pas un numéro de téléphone, même un courriel, pour contacter quelqu’un. »

Ni voyageuse ni résidente

En réponse aux questions de La Presse, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada a fait savoir que Mme de Troy n’est pas admissible à une AVE « en tant que résidente permanente ».

« IRCC lui a proposé les options de renoncer à son statut de résidente permanente et aller de l’avant avec sa demande d’AVE ou de conserver son statut de résidente permanente et voyager au Canada en tant que résidente permanente du Canada, indique-t-on. Pour ce faire, elle aurait soit besoin d’une carte de résident permanent, [soit] de soumettre une demande de titre de voyage pour résident permanent (TVRP). Mme de Troy a soumis une demande incomplète de renonciation à son statut de résidente permanente le 7 mars 2024. Il manquait le formulaire IMM5782 et des photos format passeport. Une lettre lui expliquant les étapes à suivre lui a été envoyée le 13 mars 2024. IRCC attend une réponse complète de la part de Mme de Troy. »

Autrement dit, Mme Troy ne peut pas demander une AVE parce que cette procédure s’adresse à des étrangers. Mais son statut de résidente permanente est caduc puisqu’elle ne réside plus au Canada. Il faut en effet avoir été présent sur le territoire au moins 730 jours dans les cinq dernières années pour conserver ce statut, selon le site d’IRCC. Ce qu’elle n’a pas fait parce qu’elle vit en Belgique depuis 41 ans.

« Moi, je me débrouille assez bien avec l’informatique, lance-t-elle. Imaginons quelqu’un qui ne se débrouille pas si bien, c’est impossible. Ou bien, il faut demander l’aide d’un conseiller en immigration pour faire un voyage de trois semaines ! Je trouve ça terrible. »