(Ottawa) La Chine a mené des activités d’ingérence étrangère durant les élections fédérales de 2019 et 2021, mais ces manœuvres « clandestines » et « trompeuses » n’ont pas affecté l’issue des deux derniers scrutins, soutient le directeur du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), David Vigneault.

Ce qu’il faut savoir

  • La Commission sur l’ingérence étrangère a conclu la deuxième tranche de ses audiences, vendredi.
  • Le directeur du Service canadien du renseignement de sécurité, David Vigneault, maintient que la Chine a mené des activités d’ingérence étrangère durant les élections fédérales de 2019 et 2021.
  • M. Vigneault a aussi défendu le travail des espions canadiens.
  • La juge Marie-Josée Hogue doit présenter un rapport préliminaire le 3 mai.

Appelé à témoigner une seconde fois devant la Commission sur l’ingérence étrangère, le grand patron du SCRS a affirmé que les conclusions de son organisation demeurent les mêmes deux jours après que le premier ministre Justin Trudeau a semblé minimiser la qualité des renseignements qu’elle recueille et transmet aux décideurs politiques.

M. Vigneault a été convoqué de nouveau vendredi afin de répondre aux questions des avocats après que le SCRS eut remis à la Commission en début de semaine un document de breffage du directeur détaillant les activités d’ingérence de la Chine qui devait servir à informer le bureau du premier ministre en février 2023.

De proches collaborateurs de M. Trudeau et le premier ministre lui-même ont affirmé devant la Commission cette semaine que les conclusions sans équivoque dans ce document n’ont toutefois pas été relayées de vive voix par M. Vigneault durant cette rencontre de breffage.

M. Vigneault a confirmé cette version des faits. Mais il a soutenu que la grande majorité des informations contenues dans ce document étaient bien connues du gouvernement libéral et des ministres ayant des responsabilités touchant à la sécurité nationale. Il a affirmé avoir fait des déclarations en public et en privé reprenant essentiellement les mêmes informations au cours des dernières années.

Au moins 11 candidats impliqués

Dans le document en question préparé par les agents du SCRS, on soutient que la République populaire de Chine (RPC) « s’est ingérée d’une manière clandestine et trompeuse dans les élections générales de 2019 et 2021. Dans les deux cas, les activités d’ingérence étrangère étaient de nature pragmatique et visaient à appuyer ceux qui étaient perçus comme pro-RPC ou neutres sur les enjeux d’intérêt au gouvernement de la RPC », soutient-on dans le document.

« Au moins 11 candidats et 13 membres du personnel ont été impliqués dans des réseaux d’ingérence étrangère de la RPC […]. Cela incluait des membres de plusieurs partis. […] Les rapports suggèrent aussi qu’à au moins une reprise, la RPC […] a transféré environ 250 000 $ », ajoute-t-on dans le document.

On y affirme aussi que le Canada a été plus lent que ses alliés du Groupe des cinq (Five Eyes) à prendre les moyens qui s’imposent pour contrer l’ingérence étrangère.

Pour mieux protéger les institutions démocratiques du Canada contre l’ingérence étrangère, il va falloir un virage de la part du gouvernement sur ses perspectives et sa volonté de poser des gestes décisifs et imposer des conséquences à ceux qui en sont responsables.

Extrait du document du SCRS

« Des États sont en mesure de mener des activités d’ingérence étrangère avec succès parce qu’il y a peu de conséquences juridiques ou politiques. L’ingérence étrangère est ainsi une entreprise à faible risque qui rapporte de grands dividendes. »

Interrogé pour savoir s’il avait souligné de vive voix ces informations au bureau du premier ministre ou au premier ministre durant une autre séance de breffage, M. Vigneault a répondu par la négative. Il a souligné que ces informations avaient été colligées pour l’aider à se préparer à cette séance de breffage. Cette rencontre de février 2023 avait été organisée afin de faire le point sur les nombreuses fuites médiatiques sur cette épineuse question.

« Ce sont des choses qui ont été communiquées [au gouvernement dans le passé]. J’ai déjà témoigné que selon notre évaluation, nous avions constaté de l’ingérence dans les élections de 2019 et 2021, mais je suis d’accord avec la conclusion du panel [de cinq fonctionnaires]. Cette ingérence a eu lieu, mais cela n’a pas eu un impact sur les élections générales », a affirmé M. Vigneault.

À la défense des espions canadiens

À la fin de son témoignage, le grand patron du SCRS a aussi défendu avec vigueur le travail des espions canadiens. « Le renseignement, c’est un peu comme un puzzle. Parfois, nous avons une image très claire du puzzle. Parfois, grâce à l’utilisation du renseignement brut et du renseignement examiné, nous construisons cette image. Mais ce qu’il est important de retenir, c’est que cela est fait par des analystes du renseignement professionnels et formés et des professionnels qui rassemblent tout cela. »

S’appuyant sur des rapports secrets du SCRS, Le Globe and Mail a rapporté l’an dernier que la Chine avait utilisé une stratégie raffinée afin d’assurer la réélection d’un gouvernement libéral minoritaire dirigé par Justin Trudeau au dernier scrutin et de défaire des candidats conservateurs jugés hostiles au régime communiste chinois.

Durant son témoignage, mercredi, le premier ministre Justin Trudeau a dit juger « très improbable » que le régime chinois ait eu une préférence entre un gouvernement libéral ou conservateur lors du scrutin de 2021. Et il a réaffirmé que ce sont les Canadiens seuls qui ont déterminé l’issue des dernières élections.

Il a aussi fait valoir que toute information touchant la sécurité nationale devait être accueillie avec une dose de scepticisme. « Ce n’est pas toujours certain, ce n’est pas toujours corroboré, a-t-il souligné. On doit toujours prendre [ce type de] renseignement avec une certaine conscience que c’est à confirmer. »

La Commission sur l’ingérence étrangère a terminé la deuxième semaine des audiences publiques visant à déterminer si la Chine, la Russie et l’Inde, entre autres pays, ont mené des activités d’ingérence étrangère durant les deux derniers scrutins.

La juge Marie-Josée Hogue, qui préside les travaux de la Commission, doit remettre son rapport sur cet aspect le 3 mai.