Le manque de places dans les maisons pour femmes victimes de violence conjugale s’est encore aggravé. SOS violence conjugale a été incapable de trouver une place d’urgence pour la moitié des demandes d’hébergement reçues au cours des 12 derniers mois, révèlent des chiffres obtenus par La Presse. Une étude publiée cette semaine par Statistique Canada fait état de 705 femmes refusées par les ressources en une seule journée au pays l’an dernier.

Des milliers de victimes « dans une situation d’urgence » sont ainsi forcées de rester avec leur conjoint violent « alors qu’elles remettent leur relation en question, ce qui est le moment le plus dangereux pour elles », déplore Claudine Thibaudeau, porte-parole de SOS violence conjugale.

PHOTO FOURNIE PAR CLAUDINE THIBAUDEAU

Claudine Thibaudeau, porte-parole de SOS violence conjugale

Les chiffres parlent d’eux-mêmes.

Entre avril 2023 et mars 2024, SOS violence conjugale a reçu 16 327 appels de victimes qui demandaient d’être dirigées vers une maison d’hébergement. Dans 49 % des cas, les intervenantes de l’organisme n’ont pas trouvé de place disponible dans les ressources.

Elles ont été contraintes de demander à la victime de rappeler le lendemain. Précisons que ça ne veut pas dire que 8000 femmes ont été refusées durant l’année, puisqu’une même personne peut avoir appelé plusieurs fois.

En 2022-2023, c’était pour 40 % des demandes qu’on n’avait pas trouvé de place.

Pendant la même année, les 43 ressources membres du Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale au Québec ont refusé 3300 femmes, faute de places.

Un coup de sonde de Statistique Canada mené le 13 avril 2023 auprès de 562 établissements d’hébergement au pays révèle que 705 femmes qui fuyaient un conjoint violent ont essuyé un refus ce jour-là. De plus, 31 % des établissements ont déclaré avoir refusé des femmes le jour de l’instantané ; 33 % affichaient complet, c’est-à-dire qu’ils fonctionnaient au maximum ou au-delà de leur capacité.

« Les maisons sont pleines. On a de plus en plus de difficulté à trouver des disponibilités, résume Claudine Thibaudeau. Ça fait des années qu’on tire la sonnette d’alarme. »

Quand les femmes nous appellent, c’est qu’elles n’ont plus le choix. C’est qu’elles sont face à un mur. Il y a des femmes qui sont déjà parties dans leur auto quand elles téléphonent et on leur dit qu’il n’y a pas de place. Il n’y a rien de pire que de voir quelqu’un demander de l’aide et de lui dire de revenir le lendemain.

Claudine Thibaudeau, porte-parole de SOS violence conjugale

« Chaque fois qu’il y a un féminicide [le Québec en dénombre neuf depuis le début de l’année], les intervenantes se demandent si c’est quelqu’un qu’elles connaissent. Si c’est une femme à qui on a refusé des services », raconte Louise Riendeau, du Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale.

Un matelas par terre, faute de place

Ce sentiment, les intervenantes de la maison La Méridienne en Estrie le connaissent trop bien. L’an dernier, l’équipe a dû refuser plus de 200 demandes parce que tous les lits étaient occupés. « C’est fou, le nombre de femmes qu’on refuse. Avant, je pouvais au moins référer à une autre maison de la région ou à SOS violence conjugale. Mais maintenant, ils n’ont pas de place, eux non plus, alors on n’a pas d’endroit où référer », dit la directrice adjointe, Anne-Josée Peloquin.

Quand une telle situation se produit, une intervenante procède à une évaluation du risque. Si une femme est en danger immédiat, c’est-à-dire qu’elle ne peut absolument pas retourner chez elle, et qu’elle ne peut ni aller dans une autre ressource ni chez un proche de manière sécuritaire, l’équipe fait preuve de créativité. Parfois, on envoie la victime à l’hôtel temporairement. Trois fois cette année, une femme a dormi sur un matelas par terre dans une pièce habituellement destinée à autre chose. « Ce n’était jamais arrivé », souligne Mme Peloquin.

Autrement, la victime est placée sur une liste d’attente.

[La victime] n’a pas d’autre option que de rester dans la violence et de tolérer l’intolérable en espérant qu’il ne soit pas trop tard.

Anne-Josée Peloquin, directrice adjointe de la maison La Méridienne

Pour une des clientes de La Méridienne, il a bien failli être trop tard. La femme avait appelé six fois. Et six fois, il n’y avait pas de place pour elle. Chaque fois, elle a été placée sur la liste d’attente. « Mais quand on la rappelait, elle ne voulait plus venir », raconte Mme Peloquin. La situation chez elle a fini par dégénérer au point où la police a dû intervenir. La femme a ensuite été hébergée en urgence… sur un matelas au sol.

« Une femme victime de violence, il faut lui offrir de l’aide quand elle est prête, souligne Anne-Josée Peloquin. La violence conjugale, c’est un cycle. Si je l’appelle dans deux semaines, elle sera peut-être rendue ailleurs [dans sa tête]. »

Pas de rencontre avec Carmant

Cela fait des années que les organismes d’aide réclament plus de chambres et plus d’argent pour les maisons d’hébergement. En février, des associations, dont le Regroupement des maisons pour victimes de violence conjugale, ont demandé une rencontre avec le ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux, Lionel Carmant. Elles n’ont pas eu de réponse de la part de son équipe, selon Louise Riendeau.

PHOTO FOURNIE PAR LE REGROUPEMENT DES MAISONS POUR FEMMES VICTIMES DE VIOLENCE CONJUGALE

Louise Riendeau, du Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale

Ce qu’elles auraient demandé au ministre, c’est d’ajouter deux postes par maison dans la centaine de maisons de la province, notamment pour offrir des services à l’externe et faire de la prévention. Faute de places, la solution à court terme passe par là, croit Mme Riendeau.

Car la situation n’est pas près de se résorber. Non seulement le nombre de demandes d’aide a retrouvé son niveau prépandémique au Canada, mais il continue d’augmenter. Pendant ce temps, la durée de séjour des victimes dans les centres de crise s’étire, faute d’appartements abordables ou de places en deuxième ligne pour les héberger à plus long terme.

Mais attention, dit Anne-Josée Peloquin. Malgré ce sombre portrait, les femmes doivent continuer de demander de l’aide. « On va évaluer leur situation et si elles sont en danger, on va leur trouver une place. On ne laissera jamais une femme sur le trottoir. »

Quelques ressources pour les victimes de violence conjugale et leurs proches

SOS violence conjugale : 1  800 363-9010 (ligne sans frais) ou 438 601-1211 (par texto)

Fédération des maisons d’hébergement pour femmes (Montréal) : 514 878-9757

Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale : 514 878-9134

Cherchez une maison d’aide et d’hébergement

Quelques ressources pour les personnes violentes et leurs proches

Groupe d’aide aux personnes impulsives, ayant des comportements violents (Québec) : 418 529-3446

Action sur la violence et intervention familiale (Montréal) : 450 692-7313

En savoir plus
  • 67 430
    Nombre d’admissions (dont les enfants accompagnant leur mère) dans les 562 maisons pour femmes victimes de violence conjugale au Canada en 2022-2023. C’est 44 % de plus que pendant l’année de la pandémie, et autant qu’avant que la COVID-19 n’isole les gens à la maison.
    Source : Statistique Canada
    85 %
    Proportion des établissements d’hébergement qui estiment que le manque de logements abordables est « un des principaux défis » auxquels doivent faire face les victimes. Elles restent plus longtemps dans les centres de crise, ce qui contribue au manque de places. Elles sont aussi plus susceptibles de vivre une situation d’itinérance ou de retourner auprès d’un agresseur.
    Source : Statistique Canada
  • 669
    Nombre de femmes qui ont été refusées par une maison d’hébergement le 18 avril 2018, lors d’un coup de sonde de Statistique Canada, soit 36 de moins que lors du coup de sonde de 2023.
    Source : Statistique Canada