J’arrive en retard dans ce débat, désolé. Je veux parler de ces initiations barbares dans le hockey d’élite. Je veux aussi parler du regard de Gilles Courteau, le commissaire de la Ligue de hockey junior majeur du Québec.

D’abord, un rappel. D’anciens joueurs de calibre junior ont tenté une action collective devant un tribunal ontarien pour des sévices subis quand ils étaient membres d’équipes des trois grandes ligues du Canada…

Demande rejetée.

Mais des déclarations sous serment d’ex-joueurs montrent une culture débile1 dont le coût d’entrée était souvent payé en rituels d’initiation sadiques. On parle de joueurs de 16 ans qui se font humilier, qui se font sodomiser, qui se font attacher une corde lestée de rondelles au pénis ou qui se font enfermer à plusieurs dans la toilette d’un autocar…

C’est Martin Leclerc qui sort ces histoires, à répétition. Martin est ce qu’il a toujours été, depuis que je le connais du Journal de Montréal : un journaliste sans flafla qui sort des histoires qui font boum-boum.

Ce qui est fascinant, ici, c’est la culture du silence. Peu d’ex-joueurs se sont avancés pour dire : « Moi aussi. »

Il y a ceux qui ont levé la main – Daniel Carcillo en tête, le premier dénonciateur –, ceux qui se sont joints à cette action collective avortée, une minorité absolue.

Où sont les autres ?

Ils restent dans l’ombre.

Ils n’ont plus le maillot, ils ne jouent plus pour la plupart, ils sont devenus des hommes d’âge mûr et pourtant… Mais ils sont toujours membres du club.

On dira que c’est la culture machiste du hockey, implacable mécanique qui fabrique, dit-on, un esprit de corps. Sûrement.

Mais le silence des joueurs qui ont subi (mais qui n’osent pas parler) et le silence des joueurs qui ont fait subir (mais qui se taisent), je l’assimile aussi à autre chose : à la force de la culture d’un groupe, qu’importe le groupe.

C’est dur de parler contre sa gang.

Et pas juste au hockey.

Le courage, ce n’est pas de parler contre un groupe « autre ». C’est de parler contre son groupe. Juste un bémol, des fois, c’est assez pour vous excommunier, pour vous auto-éjecter du « club »… qu’importe le club.

Je regarde aller des militants en tout genre, ces jours-ci. Il n’y a rien de mal à militer. Mais dans tout mouvement, il y a des exagérations, il y a des dérapages, il y a… des crinqués. Sur le fond, dans la forme. Les bémols exprimés contre « son » groupe sont assez rares, même si les dérapages sont connus, même si les excités sont discrètement l’objet de camouflets.

Chez les nationalistes, on n’ose pas trop ramener à l’ordre les crinqués du Grand Remplacement qui importent ici en format copier-coller les slogans du Front national français. Je sais qu’il y a des souverainistes que cela exaspère.

Ils se taisent : la Cause, tsé.

Chez les hyper-progressistes – les « wokes », disons –, je ne vois pas grand-monde émettre un bémol face à la dérape des militants qui font ce procès bizarre en délit de racisme à une marionnette en forme de Noir moche animée par un Noir en chair et en os. Je sais qu’il y a des dissidences, en sourdine, loin des statuts Facebook…

Ces dissidents se taisent : le Suprémacisme blanc, tsé.

Je sais que des militantes trouvent que les dénonciations de #metoo ne sont pas toutes égales, que certaines sont frivoles, mal appuyées dans les faits ou alors le fait de personnes pas toujours bien intentionnées. Mais elles le disent dans des messages privés envoyés à la dérobée, implorant de ne surtout pas être citées, sinon c’est l’excommunication.

Elles se taisent : le Patriarcat, tsé.

Bref, c’est dur de se lever contre son groupe, sa culture, sa caste. Son club.

C’est vrai pour les joueurs de hockey, pour les médecins, pour les enseignantes, pour les syndicats, pour les flics, pour les pompiers, pour les partis politiques et c’est sans doute vrai pour les Cercles des fermières et l’Amicale des philatélistes…

Je constate la loi du silence chez les ex-joueurs du junior et je ne vois pas en quoi elle est différente de celle des médecins, des enseignantes, des syndicats, des flics, des pompiers, des partis politiques. Parce que c’est fort, l’esprit de groupe. C’est fort, la part d’identité qui vient avec l’appartenance.

Je termine avec le regard de Gilles Courteau. J’ai été fasciné par son regard quand il est sorti de la commission parlementaire. Il a fait son point de presse, obligé, comme un homme qui attend en robe de chambre pour sa première coloscopie et qui n’aime pas trop l’idée que…

M. Courteau fixait le même point devant son nez à chacune des questions, comme un robot mal programmé par ChatGPT, que les questions soient lancées de sa droite ou de sa gauche : non, « sa » ligue n’a rien à voir dans ces histoires sordides, nous a-t-il juré, ou si peu, ou en tout cas, Mesdames et Messieurs, rien qui ne soit « à connotation sexuelle »…

C’était jeudi.

Sauf que lundi, Martin Leclerc a cité le témoignage d’un ex-joueur de la LHJMQ2 qui a raconté que plusieurs vétérans lui ont rentré le doigt dans l’anus lors de son initiation. Doigts trempés dans une crème analgésique (pour que ça brûle). M. Courteau a nommé ce joueur, son témoignage, il connaît donc son histoire. Mais il n’y a pourtant pas vu de geste « à connotation sexuelle ». Faudrait que ses faiseurs de phrases lui expliquent certaines choses…

Et mardi, La Presse cite le témoignage de M. Courteau dans le cadre de la même demande d’action collective en Ontario3, en 2021. Oups, on constate qu’il a été beaucoup plus direct sur la culture un peu débile de sa ligue qu’il ne l’a été devant les députés en 2023…

Il a menti, diront les moins charitables.

Nah, il a dit des demi-vérités, affirmeront les zhommes-de-hockey.

La vérité est ailleurs, me semble-t-il : ce sont les paroles d’un homme qui ne peut pas trahir, ne serait-ce que par un bémol, son club, sa gang, son groupe, sa culture.

Son identité.

1 Lisez le texte « La torture, le viol et l’humiliation dans un aréna près de chez vous » 2 Lisez le texte « Gilles Courteau, la loi du silence et l’Assemblée nationale » 3 Lisez le texte « Des “problèmes” depuis 45 ans, a reconnu Courteau en 2021 »