Communiqué de presse

« Situation à la Cité étudiante Polyno

La Sarre, le 3 mai 2023 – Suite à certaines rumeurs, le Centre de services scolaire du Lac-Abitibi tient à rétablir les faits :

• Il n’y a pas de litière à chat dans nos écoles ;
• Les élèves ne viennent costumés que lors des activités spécifiques ;
• Il n’y a aucun élève qui se promène en laisse dans nos locaux.

Toute diffusion allant à l’encontre de ces informations pourrait être susceptible de représenter de la diffamation et ainsi être sujette à des recours légaux.

Si vous avez des questionnements, n’hésitez pas à communiquer avec la soussignée. »

Des questionnements, j’en avais bien quelques-uns, après avoir parcouru ces lignes bizarroïdes…

À commencer par celui-ci : venais-je de lire un vrai communiqué de presse ? Vérification faite, oui, ce communiqué a bien été publié par le centre de services scolaire de Lac-Abitibi. C’est vrai.

Mais tout le reste est faux. Les litières, les élèves qui se prennent pour des animaux, qui se promènent en laisse, qui miaulent en classe… tout ça, c’est faux, faux et archifaux. De la bouillie pour les chats.

C’est parti d’une rumeur : des litières avaient été installées à la polyvalente de La Sarre pour accommoder ses élèves-chats. Sur les réseaux sociaux, on précisait que l’info provenait d’une « source sûre ».

C’était drôle, cette histoire, au début. Jusqu’à ce qu’on se mette à pointer des élèves du doigt. Et jusqu’à ce que des parents inquiets interpellent la direction de l’école : comment pouvait-elle se plier à des demandes d’accommodement aussi débiles ?

La rumeur a grossi comme une grenouille qui voudrait devenir un bœuf. Des enfants ont été pris pour cibles, diffamés, intimidés. La direction scolaire a été submergée d’appels furieux. D’où le communiqué de presse, pour rétablir les faits. Et menacer de poursuites ceux qui persistent à diffuser ces âneries.

C’était sans doute la chose à faire. N’empêche : qu’un centre de services scolaire soit forcé de publier un communiqué pour démentir des rumeurs aussi absurdes en dit long sur l’ère de la post-vérité dans laquelle nous sommes collectivement plongés…

De prime abord, je l’avoue, j’ai trouvé cette histoire comique. Je me suis dit : tiens, pourquoi pas une chronique légère sur cette fausse affaire d’élèves convertis en chats, chiens, chevaux, alouette ?

C’était d’autant plus rigolo que la même rumeur avait circulé à propos d’une école secondaire de Gatineau, en avril. Elle avait été relayée par des stations de radio, qui n’avaient manifestement pas pris la peine de vérifier ces ouï-dire auprès de l’établissement. (Scoop : c’était faux.)

Je trouvais ça comique, donc, mais plus je creuse, moins je la trouve drôle. Parce que cette histoire a un côté sombre. Elle s’inscrit dans les guerres culturelles qui déchirent les États-Unis.

Eh oui, c’est une autre niaiserie américaine servie à la sauce québécoise. Comme si nous étions devenus incapables d’avoir nos propres chicanes, d’imaginer nos propres légendes urbaines. Il faut maintenant qu’on les pique aux Américains.

Aux États-Unis, donc, cette histoire de fous courait depuis un certain temps, mais elle a explosé lors des élections législatives de novembre 2022. Au moins 20 candidats et élus républicains se sont alors indignés d’aménagements scolaires concédés à une ménagerie imaginaire, selon un décompte de la chaîne NBC1.

Toutes les écoles identifiées par ces 20 politiciens ont démenti ces affirmations grotesques. Toutes. Il n’existe pas la moindre preuve qu’une école américaine a accordé un accommodement déraisonnable de type Mondou à un enfant-chat. Aucune.

Ce ne sont pas que des ragots sans conséquence. Des politiciens de l’alt-right américaine ont cyniquement instrumentalisé cette fake news pour faire peur au monde. Pour « prouver » les dérives de la gauche woke à l’école. Une manière de dire : après les trans et les non-binaires, les animaux. Voilà où nous mène la soumission aveugle à l’idéologie de l’identité de genre. On est rendu là, dans la déviance.

Le pire, c’est que les gens embarquent. Même qu’ils en rajoutent : ici, un prétendu minou a déféqué en plein corridor. Là, une table de cafétéria a été abaissée pour permettre aux enfants de manger dans leur gamelle. Ailleurs, un élève a été puni pour avoir pilé sur la queue de son camarade de classe…

Et la rumeur s’emballe à nouveau. Malgré les démentis des autorités scolaires qui tentent de rassurer les parents du Texas au Minnesota. Malgré les quatre vérifications des faits publiées par l’agence Reuters en 2022.

Cette histoire refuse de mourir. Dès qu’on l’écrase quelque part, elle refait surface ailleurs, comme dans le jeu de la taupe. Elle se répand sur les réseaux sociaux, saute d’un État à l’autre et franchit désormais les frontières. La voilà en Abitibi.

***

Comme n’importe quel mensonge, celui-ci a une petite part de vrai en lui. Une vérité tordue. Les furries existent. Ils se déguisent en personnages animaliers colorés et se regroupent parfois pour des jeux de rôles, comme le font les passionnés de l’époque médiévale ou de l’univers des superhéros.

Ils ne se prennent pas vraiment pour des animaux.

Ils n’ont jamais exigé de bacs à litière, nulle part.

On ne sait pas trop d’où vient cette histoire de litière. Le réseau NBC n’a trouvé qu’un seul endroit où les écoles gardent bel et bien de la litière en réserve : dans le comté de Jefferson, au Colorado. Mais ce n’est pas pour les élèves qui se prennent pour des chats. Pas du tout.

Dans le comté de Jefferson se trouve l’école Columbine, marquée par un massacre commis il y a 24 ans. Toutes les écoles du comté ont des kits d’urgence : des lampes de poche, des plans de l’école, des trousses de premiers soins. Et, oui, de la litière, au cas où les élèves seraient coincés en classe pendant une tuerie qui durerait des heures.

Ça, ce n’est plus drôle du tout. C’est triste à pleurer.

1. Lisez l’article de NBC (en anglais)