C’est l’histoire d’un gars, comprends-tu…

(Les plus vieux auront compris que je reprends ici la manière Claude Blanchard de raconter une blague.)

C’est l’histoire d’un gars, comprends-tu, qui est embauché par une école secondaire pour faire un petit numéro d’humour. Ça tombe bien, le gars est humoriste ! Pis là, il se met à leur parler d’érections matinales…

J’arrête la joke ici, ce n’en est pas une (enfin, si, d’une certaine manière) et je suis nul pour raconter des blagues, je rate toujours le punch. Je vais donc rester dans mon domaine d’expertise de pointe (la chronique) et vous raconter l’histoire de Jo Cormier, humoriste.

Le rayon de ce garçon est l’humour de choc, semble-t-il. Il fait des blagues qui choquent. Il est originaire de Gentilly, pas loin de Trois-Rivières. C’est un peu pourquoi une école secondaire de Trois-Rivières l’a invité à faire un petit numéro pour ses finissants de cinquième secondaire : parce qu’il est du coin.

Cormier a accepté.

La direction de l’école aurait rappelé à l’agence de l’humoriste qu’il s’agissait d’un public de cinquième secondaire…

Pas grave, Cormier a fait ce qu’il fait : de l’humour gras. L’humoriste a raconté son éveil sexuel, quand il était au secondaire. Il a même été question d’érections matinales.

Évidemment, puisque c’est Jo Cormier, les images et les mots étaient plus près de Mike Ward que de Pierre Légaré.

Le directeur de l’école était, semble-t-il, dans tous ses états. Il attendait l’humoriste à sa sortie de scène pour lui frotter les oreilles. La direction a décidé d’envoyer un courriel aux parents pour leur signifier la réprobation de l’école face à ce qui venait de se passer…

Je cite le courriel : « Nous avons constaté que les propos tenus par l’humoriste ne respectaient pas les valeurs de notre école ni celles d’un établissement scolaire… »

Radio-Canada Mauricie a obtenu le courriel. En a fait une histoire. Le journaliste, dans la version originale de son texte, a cadré l’affaire comme si Jo Cormier avait attenté à la bonne morale de la jeunesse mauricienne. Je cite : « L’humoriste a manifestement tiré à côté de la cible avec ses blagues portant sur l’érection matinale et d’autres bassesses… »

Lisez l’article « Un spectacle d’humour crée un malaise à l’école des Pionniers »

Bref, la table était mise pour un bon petit scandale viral qui allait assurément énerver le poil de quelques propriétaires de jambes facilement effrayées par le déclin des valeurs de la société, valeurs qui étaient plus édifiantes quand Claude Blanchard faisait des jokes à Montréal en direct, comme chacun sait.

Sauf que non !

L’époque étant ce qu’elle est, des élèves et des parents ont pris la parole pour envoyer ce signal : prenez donc votre gaz égal !

Le quotidien local, Le Nouvelliste, a donné la parole aux jeunes et à leurs parents. Paraît qu’ils ont trouvé ça très drôle, les jeunes, mais personne n’avait pensé à leur demander leur avis…

Lisez l’article « Jo Cormier reçoit l’appui de parents et d’élèves »

Parents et élèves ont fait une observation pertinente : si tu invites un Jo Cormier, qui fait de l’humour gras… ça se peut qu’il fasse de l’humour gras. Ça se peut qu’il adapte son message pour les jeunes… mais que le message tache un peu quand même.

Bref, le scandale n’a pas eu lieu. Il n’y a pas de scandale.

Matière à en faire une histoire ? Ça se discute.

Mais l’histoire est drôle parce qu’elle illustre bien la peur d’avoir peur, dans les organisations. La peur que quelqu’un, quelque part, porte plainte. Ah, les plaintes, comme dans : « On a eu une plainte ! », mantra organisationnel qui justifie toutes sortes de niaiseries. J’ai hâte que les organisations comprennent qu’une plainte n’est pas toujours la fin du monde, que ça dépend du grief qui motive la plainte…

Le scandale a donc vécu un curieux coït interrompu. Mais pourquoi y a-t-il eu le début de la queue d’un scandale ? Parce qu’il était question de cul. Cachez ce sujet que les jeunes ne sauraient voir !

L’ironie, c’est que Cormier a parlé de l’importance du consentement d’une façon qui semble avoir plu aux jeunes finissants de l’école secondaire des Pionniers.

Ce qui est involontairement comique, ce sont les mots choisis par la direction pour exprimer son effroi : « Nous avons constaté que les propos tenus par l’humoriste ne respectaient pas les valeurs de notre école… »

Je me demande en quoi les érections matinales contreviennent aux valeurs d’une école. En même temps, à force de nourrir l’imaginaire des jeunes avec des dérivés de Passe-Partout – faut que ce soit éducatif, toujours –, je comprends qu’on en vienne à croire que des jeunes de 17 ans seront offusqués par l’évocation d’un pénis.

Mais on comprend le message implicite de ce scandale qui n’a pas levé : Jo Cormier déploie un humour dit vulgaire, et ce genre d’humour ne devrait pas souiller les chastes et pures oreilles d’adolescents de 17 ans.

Si on cherche de la vulgarité dans cette saga, elle existe. Mais pas là où on pense la trouver.

La vulgarité est dans une autre partie du courriel envoyé par la direction aux parents, courriel dont je parlais plus haut. Je cite : « Nous allons contacter son agent afin de lui exprimé [sic] notre désaccord quant aux propos tenus pendant le spectacle et aussi, lui souligné [sic] l’importance de respecter les valeurs qui guident notre établissement scolaire. »

Le verbe finit en « é » si on peut dire « vendu ».

Et en « er » si on peut dire « vendre ».

On apprend ça en cinquième année, peut-être même en troisième.

Des directeurs d’école qui font des fautes d’accord qu’on apprend à dépister au primaire et qui ne se relisent pas avant d’envoyer un courriel à des parents…

Ça, mesdames et messieurs, ça, c’est une forme de vulgarité sans nom qui m’inquiète plus que les blagues grasses d’un humoriste.

Une correction a été apportée à ce texte après publication. C’est à l’émission Montréal en direct et non aux Tannants que Claude Blanchard y allait de blagues souvent grivoises.