Vous en avez plein le casque (de vélo) du « modèle scandinave » ? Vous n’en pouvez plus d’entendre une phrase commençant par « Mais les Suédois, eux… » ? Vous voulez parler des frères norvégiens qui révolutionnent la course de demi-fond, mais vos muscles phonatoires n’arrivent pas à prononcer « Ingebrigtsen » ?

Ça tombe bien, le modèle scandinave, c’est déjà de l’histoire ancienne.

Ute ! comme on dit à Oslo. Ut ! comme on dit à Stockholm. Ud ! comme on dit à Copenhague. Bref, tout ça est out, comme on dit à Paris.

Le nouveau truc, c’est le modèle slovène.

Je sais, vous vous dites : les adeptes de la culture physique sont comme les anciens marxistes-léninistes : quand le modèle échoue dans un pays, ils en trouvent toujours un autre, plus obscur, où « ça fonctionne ». Et tout finit par s’effondrer en Albanie.

Sauf que cette fois, c’est vrai. Pas que le « modèle scandinave » soit mort : ces pays font la promotion de l’activité physique de masse, ils ont une population active avec de bonnes habitudes alimentaires et leurs indices de santé sont parmi les meilleurs au monde.

Mais sans qu’on y prenne garde, un petit pays des Balkans a commencé à attirer l’attention des chercheurs, et pas à cause des performances d’Anze Kopitar – meilleur joueur de hockey slovène.

Pour qui suit minimalement le Tour de France – et même si vous ne le suivez pas, la série de Netflix sur le Tour 2022 est à voir absolument –, pour qui s’intéresse même de loin au cyclisme, disais-je, les noms des Slovènes Tadej Pogačar et Primož Roglič résonnent fort depuis plusieurs années.

Ce pourrait être une anecdote athlétique. C’est en fait le résultat d’une politique de développement du sport d’excellence, dirigée au plus haut niveau de ce petit État.

L’essentiel n’est pourtant pas la production de champions. L’essentiel, c’est le développement d’une culture physique nationale.

Je ne vous surprendrai pas si je vous dis que Pierre Lavoie s’intéresse au modèle slovène, et m’envoie de la documentation sur le sujet. Lui qui prêche les vertus scandinaves depuis tant d’années tournerait-il le dos aux pays nordiques ?

Non, bien sûr. C’est plutôt comme si les Slovènes avaient poussé plus loin les mêmes principes.

La faculté des sports de l’Université de Ljubjana (la capitale) forme les profs d’éducation physique du pays, mais pas uniquement pour détecter les futurs champions. L’idée est de développer chez les enfants des aptitudes dans tous les sports et de retarder le plus possible la spécialisation.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Pierre Lavoie

« Ce que j’aime, c’est que pour eux, les champions sont issus d’un système d’inclusion, pas d’un système d’exclusion », me dit-il au téléphone depuis Chicoutimi, la voix encore éraillée par ses 1000 km de vélo du Grand Défi et mille discours avant, pendant et après.

En Amérique du Nord, au contraire, le sport d’élite est fondé sur un système d’élimination des moins performants, qui décrochent du sport massivement. Les États-Unis étant le modèle extrême : le pays le moins en forme mais ayant le plus de succès athlétiques.

« Il faut ramener le plaisir, retarder la spécialisation après le secondaire III et enlever les barrières partout. Rendre le sport accessible. Je vois la nouvelle génération de maires au Québec, et ça me donne espoir, ils sont conscients de ça. »

Pierre Lavoie a pris tout le monde par surprise, il y a trois semaines, en annonçant la fin du Grand Tour à vélo, qu’il mène avec fanfare et trompettes depuis 15 ans sur 1000 km à travers le Québec.

Il a eu beau faire planter des arbres, abolir les bouteilles d’eau en plastique et devenir carboneutre depuis 2009, l’idée même de déplacer un millier de personnes suivies par 230 véhicules récréatifs faisait désordre.

« On fait la promotion de la santé durable ; l’environnement durable, c’est étroitement lié. Il y avait une discordance. On a décidé d’arrêter et de repenser la formule. » La nouvelle approche n’a pas encore été annoncée, sinon qu’il y aura « encore des vélos, cinq par équipe, et que ça sentira mauvais ».

Ce qui avait démarré en 2008 pour attirer l’attention sur les maladies génétiques « orphelines » est devenu un mouvement de plus en plus ambitieux pour la promotion des « saines habitudes de vie ».

Où en est ce mouvement, 15 ans et quelques millions de « cubes énergie » plus tard ? Un ouvrage, écrit en collaboration avec plusieurs spécialistes, fera une sorte d’état des lieux québécois cet automne. Ce qui en ressort ? Les choses ont beaucoup progressé. L’espérance de vie au Québec est la meilleure en Amérique du Nord. La consommation de fruits et légumes est plus élevée qu’ailleurs. L’activité physique a augmenté… jusqu’à un certain point.

« On peut être fiers. Mais être les meilleurs en Amérique du Nord, c’est comme être les meilleurs des pires, dit-il.

« Tout le monde a régressé pendant la pandémie. Pendant deux ans, on a poussé nos enfants vers les écrans ; ils ne pouvaient plus voir leurs amis. Ils en sont ressortis avec une dépendance, et c’est un gros problème. »

Raison de plus de voir ce qui se fait de mieux ailleurs.

Raison de plus de continuer le « grand défi » du développement d’une « culture physique » nationale.

Si la Slovénie l’a fait en une génération, le Québec peut le faire.