Qu’elle frappe des amis ou des personnalités publiques, une séparation n’a rien de réjouissant. C’est le signe d’un échec, d’une impasse, d’une déroute. C’est profondément triste pour ceux qui ont le cœur éclaté, comme le dit Michel Tremblay. La séparation des autres vient ébranler les bases de notre propre vie de couple.

Pourtant, l’annonce de la séparation de Justin Trudeau et de Sophie Grégoire a suscité une vague de commentaires d’une méchanceté sans borne sur les réseaux sociaux. Quelques minutes après son annonce, plusieurs ont sorti leur encre perfide et leur grammaire miséreuse pour écrire des choses mal fondées, stupides, homophobes et cruelles.

On ne connaît pas les douleurs que vivent cet homme et cette femme, leurs regrets, leur culpabilité, leur peur d’affronter l’avenir. On ne sait rien des craintes de leurs trois enfants ni des moyens que les parents trouveront pour les rassurer.

Mais cette nouvelle, qui a fait le tour de la terre à la vitesse de l’éclair, chacun s’en est emparé avec un curieux détachement. Pouah ! Les Trudeau-Grégoire se séparent ! Sans doute que cela s’intègre dans la stratégie de la prochaine campagne électorale. Après un remaniement ministériel, Justin Trudeau fait du ménage dans son couple ! Tout cela et bien pire encore, je l’ai lu.

L’autre chose qu’on a beaucoup entendue mercredi, c’est que le couple vivait des difficultés depuis un bout de temps. Justin Trudeau et Sophie Grégoire ne l’ont jamais caché, il y avait de l’eau dans le gaz. Sophie Grégoire a déjà dit à un journaliste de Global News, en 2015, qu’« aucun mariage n’est facile ».

En fait, Justin Trudeau et Sophie Grégoire n’ont jamais tenté de faire croire au public que la vie de couple est un long fleuve tranquille. Le 28 mai 2019, à l’occasion de leur anniversaire de mariage, Justin Trudeau écrivait ceci sur Instagram : « Cela fait maintenant 14 ans qu’on traverse ensemble les hauts et les bas que la vie nous fait vivre… À tous les couples, applaudissez votre union dans les beaux moments comme dans les moments difficiles. Continuez d’avancer et de regarder vers l’avant ! »

Cela faisait 18 ans qu’ils étaient ensemble. Celle que Justin Trudeau a voulu épouser dès leur premier rendez-vous dans un resto de la rue Duluth étouffait-elle dans son rôle mal défini et peu valorisé de première dame du Canada ? En avait-elle assez d’être dans l’ombre d’un homme dont les journées de travail n’ont rien à voir avec du 9 à 5 ? A-t-elle vu le spectre d’une quatrième campagne électorale comme un film dans lequel elle n’a plus envie de jouer ?

Tout cela les regarde. Mais reste que ce power couple parmi les power couples symbolisait pour une bonne part de la population une sorte d’idéal.

Elle, belle comme le jour, d’un naturel séduisant, défendant des causes de son époque (l’anorexie et la santé mentale). Lui, l’homme le plus puissant du pays, svelte comme s’il avait encore 25 ans, flegmatique à souhait.

À l’étranger, le couple dégageait l’image de la jeunesse et de la beauté. À côté d’eux, les autres chefs d’État avaient souvent l’air de vieux croûtons.

Mais la flamme n’était plus là. Les baisers devant les caméras manquaient de passion. Certains l’avaient remarqué. Ils ont décidé d’éteindre ce qui restait avant que l’hypocrisie s’en mêle.

J’ai aimé du texte qu’ils ont publié le cadre pacifiste qui a dominé. « Comme toujours, nous restons une famille proche avec un amour profond l’un pour l’autre. » Les Canadiens doivent s’attendre à les revoir en famille, précise-t-on dans le bref message publié sur Instagram. On est loin d’une séparation acrimonieuse.

Justin Trudeau n’est certes pas le premier à quitter sa conjointe alors qu’il est au pouvoir. Son père l’a fait avant lui. On a connu Pierre Elliott célibataire (souvenez-vous de la Trudeaumania), puis marié et finalement séparé de Margaret Sinclair en 1977 (le divorce a été prononcé en 1984).

L’ancien président français Nicolas Sarkozy a également vécu cela en se séparant de Cécilia en 2007. Nelson Mandela a divorcé de Winnie en 1996 alors qu’il était au pouvoir depuis 1994 (le couple ne vivait déjà plus ensemble depuis 1992). Et que dire de Vladimir Poutine qui, au détour d’une question posée par un journaliste alors qu’il quittait un théâtre, a confirmé son divorce avec sa femme Lioudmila.

Comme beaucoup de couples du milieu de la politique ou du monde des affaires, Justin Trudeau et Sophie Grégoire auraient pu jouer la comédie. Cela aurait été facile. Ils ont choisi la franchise. Je préfère nettement ça aux histoires shakespearo-trash de Buckingham Palace.

Chose certaine, si Justin Trudeau doit mener sa prochaine campagne en tant que nouveau célibataire, il faudra dire à Anaida Poilievre de solidement regarnir sa garde-robe. Elle risque d’être de tous les évènements impliquant son mari.

On se plaît souvent à dire que nous ne sommes pas aussi friands des potins de vedettes que les Américains et les Européens. On aime aussi dire que la vie privée des personnalités ne nous intéresse pas. Rien n’est plus faux ! Il serait temps qu’on l’admette.

Vous auriez dû voir la réaction de certains collègues dans la salle de rédaction lors de l’annonce de la séparation du couple Trudeau-Grégoire. Cela a eu l’effet d’une véritable bombe. Tout le monde avait sa théorie, son explication, ses pronostics.

En quelques minutes, cette nouvelle est devenue l’une des plus lues sur les sites web des médias canadiens.

Nous aimons répéter que la vie privée des personnalités ne nous regarde pas. Pourtant, les chiffres ne mentent pas. Nous sommes très nombreux à nous jeter sur ce type de nouvelle pour nous en gaver.

La presse people est plus faible ici, car nous n’avons pas de véritable star-system. Si le prince William et la princesse Kate vivaient chez nous, nous serions aussi curieux et potineux que les autres. Les paparazzis seraient tout aussi nombreux.

Justin et Sophie sont un peu nos William et Kate ! Voyez le résultat !