En 2011, Diane Lemieux s’est fait offrir la pire job au Québec : faire le ménage dans l’industrie de la construction.

Elle a sauté sur l’occasion.

Douze ans plus tard, elle quitte un milieu plus sain, mieux géré, mais tout aussi rigide. « Chaque métier est hyper réglementé et les tâches sont définies comme il y a 40 ans. On essaie de faire bouger ça, mais c’est au pic et à la pelle… »

L’industrie au Québec se distingue également par son manque criant de diversité. « On est à la traîne au Canada pour la présence des femmes, des membres des Premières Nations, des minorités, des gens issus de l’immigration. »

N’empêche : c’est un sacré virage qu’elle a fait prendre à la Commission de la construction du Québec (CCQ). L’organisme était « totalement dysfonctionnel » à son arrivée. Le président, connu pour ses dépenses presque comiques en restaurants, congrès et activités connexes, venait d’être éconduit par le gouvernement après quelques reportages gênants.

Pour le remplacer, la ministre libérale du Travail Lise Thériault a choisi Diane Lemieux… ex-ministre péquiste du Travail.

L’étonnement a été de courte durée. Elle avait la tête de l’emploi et les mots pour le prouver.

Depuis qu’elle a commencé sa vie publique dans les années 1980 en défendant les droits des femmes victimes d’agression sexuelle, Diane Lemieux est connue pour ne pas avoir besoin de bottes de protection : personne ne lui marche sur les pieds.

Qui de mieux que la « lionne de Bourget » (circonscription qu’elle a représentée de 1998 à 2007) pour remettre de l’ordre dans le zoo ?

Rappelez-vous : les reportages se succédaient sur les histoires de collusion, de corruption et de violence dans le milieu. Des entrepreneurs, des maires, des firmes de génie, des dirigeants syndicaux étaient épinglés à tour de rôle dans les médias, accusés devant la cour criminelle…

« Quand je suis arrivée, la grande question était : est-ce qu’il va y avoir une commission d’enquête ? » Quelques mois plus tard était déclenchée une commission présidée par France Charbonneau.

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La ministre du travail Lise Thériault et Diane Lemieux lors de sa nomination à la direction de la Commission de la construction du Québec, le 25 janvier 2011

En arrivant en fonction, Diane Lemieux s’est rendu compte qu’il y avait des filières d’embauches d’inspecteurs contrôlées par les dirigeants syndicaux. « On a fait des tableaux pour établir la filière de Johnny [Jean] Lavallée, celle de Jocelyn Dupuis. Le conseil d’administration se mêlait des inspections et les syndicats décidaient quels chantiers seraient inspectés, lesquels ne le seraient pas. Les syndicats majoritaires s’arrangeaient pour écarter les inspecteurs qui venaient d’autres syndicats. »

Les inspecteurs allaient joyeusement dans les tournois de golf des entreprises qu’ils étaient censés surveiller.

Tout se faisait entre « chums », en somme, et ce n’est pas par hasard que le président de la FTQ-Construction en 2011 a déploré le départ de l’ancien patron de la CCQ.

« Ça me surprend et ça me déçoit, parce que là, on ne sait pas qui le gouvernement va nous amener », avait-il déclaré.

Les boss de la FTQ-Construction n’étaient pas au bout de leurs déceptions et étonnements.

« La CCQ au fond était le prolongement de l’écosystème de la construction », résume Diane Lemieux, rencontrée mercredi dans un café du quartier Angus.

L’organisme avait été créé après la commission Cliche, sur la criminalité dans l’industrie. Mais 40 ans plus tard, il avait dérivé tranquillement pour devenir « le grand buffet à volonté où ils se servaient ».

Dans cet écosystème, les entreprises avaient « donné les clés du char » aux gros syndicats, qui effectuaient le placement des travailleurs sur les chantiers.

« Une chose importante que Lise Thériault a faite est de mettre fin à ça. Ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas de tentative, mais la règle est inversée.

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Diane Lemieux

« J’ai eu à gérer des questions d’éthique. Chaque employé doit faire une déclaration d’intérêts. C’est normal d’avoir des liens avec des gens dans l’industrie, mais ça doit être su. On vérifie aussi les antécédents. On veut des inspecteurs cleans. »

Un ménage a été fait au conseil d’administration également.

Il y a eu quelques grincements de dents, mais « une crise, c’est aussi un bon moment pour changer les choses ».

Elle a survécu au gouvernement péquiste qui a suivi les libéraux, au retour des libéraux, et maintenant à la CAQ, qui a renouvelé son dernier mandat.

« Il y a une chose qui m’a nui des fois, mais qui m’a aidée le plus souvent : ma confiance personnelle. Ça ne veut pas dire que je n’ai pas des doutes, mais c’est très dur de m’ébranler dans mes valeurs, mes compétences. Je regarde le fond des choses, alors je ne suis pas trop perméable aux crises de nerfs. Quand quelqu’un me dit : ça va brasser sur les chantiers si vous faites ça, ça ne m’impressionne pas. »

Le régime « unique » au Québec a cependant permis de « mutualiser » les petites entreprises et de fournir assurance et régimes de retraite – gérés par la CCQ.

Mais le milieu ne bouge pas vite. Malgré de nombreux efforts et mesures incitatives auprès des employeurs, le milieu demeure très (très, très) masculin et homogène.

En arrivant, j’entendais des histoires d’horreur sur des inconduites sexuelles. On me disait : on va changer le gars de chantier. Euh… Non !

Diane Lemieux

« J’avais l’impression de revivre les années 1980 à Sherbrooke dans les dossiers d’agressions sexuelles, quand les policiers, les juges, les hôpitaux n’étaient pas adéquats. » Il y avait moins de 10 % de femmes dans la magistrature à l’époque.

On en est encore à faire des enquêtes sur ce qui incite les travailleurs des minorités à rester dans le milieu, ce qui les fait fuir. En attendant, on cherche fort pour trouver un peu de diversité. « C’est beaucoup une question de réseaux. »

La « lionne » part de son propre chef le 15 septembre, quatre mois avant la fin de son mandat. François Legault a annoncé son intention de moderniser l’industrie, ce qui veut dire de nouvelles réformes. C’est le temps de passer le témoin – pour l’instant à François Charette, qui a été son alter ego pendant des années.

Le nouveau président de la FTQ-Construction considère ce départ comme une « très, très bonne nouvelle ».

Une sorte d’indice que la nostalgie du « bon vieux temps » est encore bien présente chez les représentants de ce que Mme Lemieux appelle un « noyau dur » de résistants aux changements.

Sur l’offre d’emploi pour succéder à cette redresseuse, on devrait lire : tigre recherché.

Qui est Diane Lemieux ?

Connue pour son engagement auprès des victimes d’agressions sexuelles – et au Conseil du statut de la femme –, Diane Lemieux a été députée péquiste sous les gouvernements de Lucien Bouchard et de Bernard Landry, de 1998 à 2007.

Elle a été directrice du cabinet du maire de Montréal de l’époque, Gérald Tremblay, après avoir tenté de se faire élire avec son parti.

En 2011, elle quitte la vie politique et devient présidente-directrice générale de la Commission de la construction du Québec.

Mme Lemieux a occupé ce poste pendant plus de 10 ans et a été chargée de mettre en œuvre des recommandations de la commission Charbonneau.