Ainsi, un salopard aurait allumé le feu qui a ravagé un immeuble du Vieux-Montréal par une sombre nuit du mois de mars. C’est ce salopard qui aurait tué sept personnes. C’est lui (ou elle), le responsable du carnage. Personne d’autre, fait valoir, par l’entremise de son avocat, le propriétaire de l’immeuble, montré du doigt pour ses négligences passées en matière de sécurité incendie.

Euh, pas si vite, rétorque Robert Lacas, grand-père d’une jeune victime1. Ce qui a déclenché le feu n’a pas d’importance. Enfin, oui, bien sûr, c’est important. Ce que le grand-père veut dire, c’est que la nature de l’incendie ne change rien au fait que sa petite-fille, Charlie, n’a pas eu la moindre chance. Elle serait morte quand même, si le feu avait été déclenché par un mégot mal éteint.

Charlie aurait été prise au piège, malgré tout, dans un appartement sans fenêtre.

Évidemment, tout cela reste à voir. D’ailleurs, les policiers mènent désormais deux enquêtes : l’une pour meurtres, l’autre pour négligence criminelle. Laissons-les travailler. Il est trop tôt pour tirer des conclusions sur cette tragédie.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

L’immeuble incendié de la place D’Youville, le 17 mars dernier

En attendant, permettez-moi de revenir sur cette autre tragédie, cette saison des incendies, la plus dévastatrice – et de loin – de l’histoire au Canada. Jusqu’à présent, plus de 15 millions d’hectares de forêt ont brûlé, dont 5 millions d’hectares au Québec. Et ce n’est pas fini.

La dernière chronique que j’ai écrite, avant mes vacances estivales, traitait du ciel couleur d’apocalypse, du smog recouvrant Montréal, des communautés évacuées en catastrophe. Elle s’intitulait « Nous n’avons encore rien vu »2.

Je ne croyais malheureusement pas si bien dire.

Depuis, il y a eu des centaines de maisons détruites, des villes entières enfumées, un milliard de tonnes de dioxyde de carbone (CO2) relâchées dans l’atmosphère. Aujourd’hui, de la Nouvelle-Écosse à la Colombie-Britannique, un millier d’incendies sont toujours actifs.

J’y reviens, parce qu’il n’existe pas de sujet plus grave, d’urgence plus urgente, que celle de la lutte contre les changements climatiques. L’été qui s’achève aura fini de m’en convaincre. Les vagues de chaleur record en Europe. Les monstrueux incendies en Grèce. Et, au milieu de l’océan Pacifique, une île paradisiaque transformée en four infernal.

J’entends déjà la poignée d’irréductibles sceptiques s’étouffer d’indignation : oui, mais au Canada, beaucoup d’incendies ont été déclenchés par la foudre, par des feux de camp mal éteints, peut-être même par des incendiaires !

Ça n’a pas vraiment d’importance. Le Canada n’aurait pas brûlé à ce point sans les changements climatiques. Ce sont les conditions extrêmes du terrain qui ont permis aux brasiers de se propager avec une telle fulgurance. Une étude du réseau international de scientifiques World Weather Attribution3 conclut sans surprise que les incendies qui ont consumé les forêts du nord du Québec auraient été beaucoup moins intenses sans le réchauffement planétaire.

Si nos forêts n’avaient pas été aussi sèches, elles n’auraient pas été réduites en cendres.

S’il y avait eu une fenêtre dans l’appartement, Charlie aurait peut-être pu sortir.

Face à un climat planétaire plus détraqué que jamais, le quotidien britannique The Guardian pose cette semaine4 la question qui tue : les incessantes émissions de CO2 produites par l’humanité auraient-elles finalement poussé la crise climatique dans une nouvelle phase de destruction accélérée ?

Après l’ère du réchauffement climatique, entrons-nous, comme l’a sombrement annoncé le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, dans « l’ère de l’ébullition mondiale » ?

The Guardian a interrogé 45 climatologues du monde entier. Leur réponse : l’année 2023 a été particulièrement catastrophique en raison du phénomène naturel El Niño. Mais, si on ne fait rien, d’ici dix ans, ces catastrophes à la chaîne deviendront la nouvelle normalité.

Il est encore temps d’agir. Résolument. Si on fait vite, assurent tous ces éminents scientifiques, on peut encore influer sur l’évolution du climat. La priorité absolue, c’est d’arrêter de brûler des combustibles fossiles. Il n’est plus temps de tergiverser.

Il faut cesser de dire qu’on ne peut rien y faire puisque le réchauffement, c’est bien davantage la faute des pays pollueurs que la nôtre. Il faut se rappeler que nos émissions, par personne, sont plus élevées que celles des Chinois.

Il faut cesser de dire que le ministre Pierre Fitzgibbon délire complètement lorsqu’il parle de l’importance de réduire le parc automobile québécois. Il ne délire pas. Il a tout simplement raison.

Il faut cesser de dire que ce n’est pas possible de décarboner le Québec, que la société n’est pas prête, que ça coûterait trop cher de changer.

Ne rien faire coûterait infiniment plus cher.

1. Lisez l’article « Incendie mortel dans le Vieux-Montréal : l’enquête en est maintenant une de meurtres » 2. Lisez la chronique « Nous n’avons encore rien vu » 3. Lisez l’article « Incendies de forêt au Québec : pratiquement impossibles sans les changements climatiques, conclut une étude » 4. Lisez l’article du Guardian « “Off-the-charts records” : has humanity finally broken the climate ? » (en anglais)