Je n’ai rien contre la sagesse, mais je me demande si c’est vraiment une sage décision de mettre sur pied un nouveau comité de sages sur la question de l’identité de genre.

Est-ce, comme le craint la députée solidaire Manon Massé, une « nouvelle bébelle » qui risque de faire plus de tort que de bien ? Ou plutôt l’occasion d’en arriver à une réflexion posée sur des enjeux clivants dans un contexte de montée de l’homophobie et de la transphobie ?

C’est difficile de répondre à cette question avant même de connaître la composition de ce comité et son mandat. Pour l’heure, on n’en sait pas grand-chose, sinon qu’il sera piloté par la ministre de la Famille, Suzanne Roy, qu’il aura un mandat d’ouverture et que l’on promet qu’il n’y aura pas de recul sur des droits acquis.

Chose certaine, entre le débat politique déroutant déclenché par les toilettes mixtes et l’inquiétante manifestation anti-LGBTQ+ qui a mené François Legault à se poser en « rempart contre les extrêmes » et à lancer un appel au calme « des deux côtés », le « débat » sur l’identité de genre ne semble pas exactement avoir démarré sur de sages réflexions.

Si Manon Massé qualifie la chose de « nouvelle bébelle », c’est que le gouvernement semble oublier qu’on est loin de partir de zéro.

On a déjà au moins quatre comités chargés de ces questions et qui s’occupent de voir comment on va faire atterrir le nouveau droit créé au cours des dix dernières années pour les personnes trans ! C’est vrai à l’école, mais aussi dans le système de santé et ailleurs.

Manon Massé, co-porte-parole de Québec solidaire

Si ces comités, qui incluent notamment des experts et des personnes directement concernées par ces enjeux, existent déjà, pourquoi ne pas les interpeller au lieu de créer de nouvelles instances risquant de dédoubler ce qui se fait déjà ?

Manon Massé souligne par ailleurs que cela fait un an que l’on attend le dépôt d’un nouveau plan gouvernemental de lutte contre l’homophobie et la transphobie. Au cabinet de la ministre Martine Biron, responsable de ce dossier, on dit souhaiter qu’il soit déposé cet automne. Là encore, si le gouvernement est préoccupé par les manifestations de haine anti-LGBTQ+ et les questions que ces enjeux suscitent, il aurait pu mettre les bouchées doubles pour que ce plan soit déposé plus rapidement et qu’il inclue les ressources nécessaires pour contrer la désinformation et la montée des discours haineux. Pour soutenir aussi les personnes qui la subissent.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, ARCHIVES LA PRESSE

La co-porte-parole de Québec solidaire, Manon Massé

Il est bien sûr légitime pour des parents de se poser des questions devant des enjeux dont ils n’ont eux-mêmes jamais entendu parler à l’école. Mais il n’est pas nécessaire pour le gouvernement de réinventer la roue lorsque les réponses qui s’appuient aujourd’hui sur les faits, la science et le droit existent déjà.

« Inévitablement, le nouveau plan de lutte contre l’homophobie et la transphobie doit inclure des éléments de sensibilisation ou d’éducation au sujet des personnes trans et non binaires, souligne Manon Massé. Si on veut répondre aux questions des parents, pourquoi ne pas les diriger par exemple vers un organisme comme Interligne, qui intervient déjà auprès des personnes en questionnement et de leur famille ? Mais mettre sur pied un comité de sages, ça laisse entendre qu’actuellement, il y a quelque chose de pas sage… Ça, moi, ça m’effraie. »

Dans un contexte inquiétant où ces enjeux sont instrumentalisés pour marquer des points politiques, en se contrefichant de répandre de la désinformation sur le dos de personnes vulnérables, toute discussion publique sur ces questions complexes et délicates doit être menée avec le souci de ne pas envenimer les choses, sous prétexte de simplement « poser des questions ».

Les intervenants communautaires qui travaillent auprès des personnes concernées constatent que ces débats menés n’importe comment ont des impacts très négatifs dans leur vie. « On voit une remontée en ce moment des points de vue homophobes et transphobes », souligne Mykaell Blais, formateur de l’organisme Trans Mauricie–Centre-du-Québec. « Lorsque des adultes commencent à en parler et à rendre légitimes l’homophobie et la transphobie, les jeunes suivent. »

PHOTO KARENE-ISABELLE JEAN-BAPTISTE, ARCHIVES LA PRESSE

L’auteure et illustratrice Élise Gravel

Je le répète : c’est tout à fait légitime de poser des questions et ça ne fait pas de quelqu’un un transphobe. Mais il faut aussi apprendre à écouter les réponses, comme le dit si bien un personnage d’une BD en ligne récemment créée par Élise Gravel, Olivier Bernard (alias le Pharmachien) et Mykaell Blais pour démêler tout ce qui se dit sur les jeunes trans et non binaires. Des réponses, « la science en a plein et les personnes concernées aussi ».

Lisez la BD d’Élise Gravel, Olivier Bernard et Mykaell Blais Pourquoi tout le monde parle d’identité de genre ? (version intégrale)

L’auteure et illustratrice Élise Gravel a eu la bonne idée de créer cette BD en entendant chez Pénélope à Radio-Canada Olivier Bernard faire une chronique résumant les grandes lignes de ce que la science nous dit sur les transitions médicales. Le fait est qu’il y a un consensus scientifique solide à ce sujet, soulignait-il, en s’inquiétant des dérives qui surviennent lorsqu’un enjeu d’abord et avant tout de nature scientifique est transformé en enjeu électoral.

Écoutez le segment de l’émission Pénélope avec Olivier Bernard

Mykaell Blais avait déjà collaboré avec Élise Gravel au livre sur les stéréotypes de genre Le rose, le bleu et toi ! mis à l’index dans certains endroits aux États-Unis. Ils ont uni leurs forces avec le Pharmachien pour tenter de répondre, références scientifiques et humour à l’appui, à plusieurs questions que se posent les gens sur l’identité de genre.

La BD a surtout suscité de beaux commentaires, notamment de gens qui confiaient que cela les avait aidés à réfléchir posément.

Au lieu de convoquer un comité de sages, le gouvernement devrait lire ça.