À Washington, mercredi, la police a arrêté plus de 300 personnes qui prenaient part à une manifestation et une action de désobéissance civile.

Ce que réclamaient les protestataires, issus d’organisations juives de gauche ? Un cessez-le-feu et la fin des bombardements dans la bande de Gaza. « Pas en mon nom », pouvait-on lire sur leurs t-shirts noirs.

En France, le gouvernement a été rappelé à l’ordre après avoir banni mur à mur les manifestations propalestiniennes dans l’Hexagone. Le Conseil d’État a statué que le gouvernement avait le droit d’interdire une manifestation pouvant porter atteinte à l’ordre public, mais qu’elle devait le faire au cas par cas. Pas systématiquement, comme le souhaitait le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin.

À Berlin et ailleurs en Allemagne, la police, avec l’assentiment du gouvernement, a elle aussi interdit la grande majorité des manifestations. Les mêmes prescriptions sont en vigueur en Hongrie et en Autriche.

Ici, chez nous, les politiciens ont été prompts à dénoncer les rassemblements propalestiniens, et ce, à tous les ordres de gouvernement.

Le ministre fédéral de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, Marc Miller, aussi député d’une circonscription du centre de Montréal, a utilisé son compte X pour dénoncer un rassemblement dans la métropole. « J’ai honte et je suis dégoûté de voir ces scènes glorifiant la mort et la terreur à Montréal », a-t-il écrit au-dessus d’un extrait vidéo dans lequel on entend des manifestants scandant des slogans demandant la libération de la Palestine, mais sans mentionner le Hamas.

Si on veut résumer la chose, on pourrait dire que nombre de gouvernements de démocraties occidentales, qui se targuent d’être des phares des droits de la personne dans une mer grandissante de pays autoritaires, s’en sont vite pris au droit de manifester, un des principaux piliers de la liberté d’expression, depuis les attentats du 7 octobre qui ont fait 1300 morts et qui ont été suivis de bombardements intenses sur la bande de Gaza en plus de l’imposition d’un siège complet à l’enclave palestinienne.

Il y a là un véritable danger de dérapage.

Je ne suis pas la seule à le penser. Human Rights Watch et Amnistie internationale, les deux plus grandes organisations de défense des droits de la personne, se sont toutes deux inquiétées cette semaine, dénonçant le caractère excessif des interdictions dans plusieurs capitales européennes.

En entrevue, la directrice de la section canadienne francophone d’Amnistie, France-Isabelle Langlois, note que son organisation s’inquiétait déjà du recul du droit de manifester dans le monde et que les évènements des derniers jours démontrent que nous sommes collectivement sur une pente glissante. « On voit une relativisation des droits à géométrie variable dépendamment du groupe auquel on appartient », dit-elle, en rappelant qu’il est permis de critiquer « les politiques d’Israël, du Hamas et du Fatah » sur la place publique.

Ce qui n’est pas permis en démocratie, notamment par la loi canadienne, c’est d’inciter à la haine ou à la violence. Les policiers ont déjà tous les pouvoirs nécessaires pour mettre fin à une manifestation teintée d’attaques racistes et antisémites. Ou encore dans laquelle on appellerait à s’en prendre à des individus ou à des groupes, que ce soient les communautés juives ou les communautés musulmanes. La glorification de la violence commise par un groupe armé, une organisation terroriste ou un acteur étatique est, par le fait même, proscrite.

Ces lignes rouges sont claires, non négociables et les autorités doivent veiller à les faire respecter. Cependant, ces balises ne permettent pas de censurer des points de vue politiques, quels qu’ils soient. Sympathiques ou antipathiques.

À ce sujet, France-Isabelle Langlois cite l’exemple des prisonniers d’opinion que son organisation défend à travers le monde. Il y a parmi eux des militants de tous les horizons politiques, de la droite radicale à l’extrême gauche.

Ce qu’on défend, ce ne sont pas leurs opinions, mais leur liberté d’expression. Et les gens ont le droit de s’exprimer tant que ça ne met pas la vie des autres en danger.

France-Isabelle Langlois, directrice de la section canadienne francophone d’Amnistie

Joe Cohn, de la Foundation for Individual Rights and Expression à Philadelphie, s’intéresse à la question depuis des décennies. Il croit que l’interdiction des manifestations est contre-productive. « C’est important de connaître tous les points de vue qui existent et de voir jusqu’à quel point les gens y adhèrent. En censurant certains points de vue, on ne les fait pas disparaître, on les envoie dans des réseaux souterrains. Et ça nourrit la perception de certains qu’ils ne sont pas entendus », fait-il valoir.

La question est loin d’être réglée dans le cas des réactions au conflit israélo-palestinien. La rue s’embrase dans bon nombre de villes du monde arabo-musulman depuis l’explosion qui a semé la mort dans un hôpital de Gaza, et ce, même si les circonstances de l’évènement n’ont pas été clairement établies.

L’Occident n’est pas en reste. Les réseaux sociaux étaient couverts d’images de manifestations à Paris, à Nantes, à Valenciennes et à Bruxelles jeudi. Et le week-end risque d’être encore plus mouvementé.

La présence des forces de l’ordre reste essentielle pour assurer la sécurité de tous et maintenir la paix, mais aussi, doit-on rappeler, pour protéger notre précieux droit à la dissension.