On aime bien les travailleurs étrangers temporaires quand ils viennent pallier à bas salaire notre pénurie de main-d’œuvre. On les aime un peu moins quand, en plus d’être exposés à des risques d’esclavage moderne, dixit un rapporteur spécial de l’ONU, ils ont le malheur d’être trop épuisés pour suivre des cours de français ou se voient refuser l’accès à la francisation par leur employeur.

En annonçant de nouvelles exigences destinées aux travailleurs étrangers temporaires afin de freiner le déclin du français, Québec promet que ce sera chose du passé. Dorénavant, les personnes assujetties au Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET), à l’exception des travailleurs agricoles, devront faire la preuve d’une certaine connaissance du français pour renouveler leur permis de travail.

Bien qu’elle ait été annoncée en grande pompe, cette nouvelle mesure prévue par le gouvernement Legault touchera en réalité bien peu de gens. On parle d’environ 35 000 travailleurs du PTET sur les quelque 470 000 immigrants temporaires du Québec (étudiants étrangers, demandeurs d’asile, ressortissants ukrainiens…).

Est-ce à dire que c’est une mesure inutile ? Non.

Si on a à cœur l’avenir de la langue française au Québec, toute initiative améliorant l’accès à la francisation pour les gens qui posent leur valise ici est en soi une bonne idée. À condition bien sûr que le gouvernement tienne ses promesses.

Exiger des travailleurs migrants une certaine connaissance du français, fort bien. Mais encore faut-il leur offrir les conditions nécessaires pour y arriver. Encore faut-il aussi exiger qu’ils soient traités comme des êtres humains à part entière plutôt que comme des travailleurs jetables qui, en plus de devoir régler nos problèmes de pénurie de main-d’œuvre, sont désormais chargés de contrer le déclin du français.

Pour l’heure, les conditions nécessaires à la francisation de ces migrants sont loin d’être réunies. Contrairement à un mythe bien répandu, ce n’est pas parce qu’ils manquent de volonté ou refusent de s’intégrer qu’ils peinent à apprendre le français.

« Quand on veut, on peut », c’est facile à dire. Mais lorsqu’on est un migrant à statut précaire qui est tenu par un employeur de travailler des heures de fou pour soulager sa pénurie de main-d’œuvre, on peut vouloir très fort tout en n’ayant aucun pouvoir.

C’est ce qu’a observé Stéphanie Arsenault, professeure de travail social à l’Université Laval, dans le cadre d’une étude réalisée l’an dernier auprès de travailleurs temporaires qui apprenaient ou tentaient d’apprendre le français à Québec.

« L’une des choses qui posent grandement problème, c’est tout le pouvoir qu’ont les employeurs de rendre possible ou non le fait que leurs employés fassent des cours de francisation à temps partiel. Les employés étaient complètement à leur merci. »

S’ils ont la chance d’avoir un employeur qui voit d’un bon œil la francisation de ses employés, ça facilitera les choses. Mais il n’est malheureusement pas rare de voir des employeurs du PTET qui, après avoir investi des sommes importantes pour faire venir des travailleurs de l’étranger, considèrent que ces employés sont en quelque sorte leur propriété et qu’ils sont en droit d’exercer un contrôle sur leurs allées et venues. Dans certains cas, ils ne veulent rien savoir que « leur » employé apprenne le français. Car la connaissance de la langue est un outil pour connaître ses droits, améliorer son sort professionnel et quitter un emploi aux conditions intenables. Et le temps passé à apprendre est du temps qui n’est pas passé à travailler.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Christine Fréchette, ministre de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration

Si la ministre de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration, Christine Fréchette, entend obliger les employeurs à offrir des cours de francisation sur les lieux de travail durant les heures normales de travail, les détails du programme ne sont pas encore connus. Y aura-t-il une subvention offerte à l’employeur afin de couvrir les salaires des employés pendant les heures consacrées à l’apprentissage du français – comme le recommande l’étude cosignée par Stéphanie Arsenault⁠1 ? L’employeur devra-t-il payer les heures de francisation comme s’il s’agissait d’heures de travail ?

« On n’est pas à ce niveau de précision. Ça fait partie des modalités de fonctionnement qui ne sont pas encore définies. Le travail est en cours », me dit Mme Fréchette.

Le succès de l’initiative dépendra de ces détails qui n’en sont pas. Obliger les employeurs à aménager l’horaire de travail normal pour y inclure des cours de français peut être une bonne idée. Mais si cela pénalise financièrement le travailleur dont l’horaire de travail serait forcément réduit, cela devient une fausse bonne idée. Même chose si le nombre d’heures consacrées à l’apprentissage du français est insuffisant ou si les cours sont de piètre qualité. On ne ferait qu’ajouter un obstacle de plus à un parcours qui n’en manque pas.

Il est par ailleurs important de rappeler que de tous les obstacles que doivent affronter les travailleurs étrangers temporaires, ceux qui sont liés à l’apprentissage du français sont loin d’être les pires.

Ici même au Québec, comme ailleurs au Canada, les permis de travail fermés (qui lient les travailleurs étrangers temporaires à un seul employeur) ouvrent la porte à des formes d’esclavage moderne, selon un rapport récent de Tomoya Obokata, expert onusien du droit international et des droits de la personne⁠2.

Même si la ministre s’est déjà montrée préoccupée par les violations des droits associées aux permis de travail fermés et a chargé la Commission des partenaires du marché du travail de proposer des solutions de rechange, il n’y a pas un seul mot à ce sujet dans le nouveau plan d’immigration.

Je comprends que c’est d’abord et avant tout un problème qui devra être réglé par le gouvernement fédéral. Mais de la même façon que le gouvernement Legault somme Ottawa de tenir compte du fait français dans la gestion d’autres programmes fédéraux, il aurait été quand même bien de l’entendre dire haut et fort qu’en plus d’exiger que ses travailleurs temporaires soient francisés, il exige qu’ils soient avant tout libres. Les esclaves modernes les mieux francisés d’Amérique, non merci…

1. L’étude « Le parcours à obstacles des résidents temporaires en emploi à Québec », de Stéphanie Arsenault, Alessandra Bonci et Samantha Giroux, est publiée dans le recueil Le français en déclin ? – Repenser la francophonie québécoise (Del Busso Éditeur) qui paraîtra le 13 novembre.

2. Lisez l’article « Travailleurs étrangers temporaires : un danger d’esclavage moderne, s’alarme un représentant de l’ONU »