Un type qui harcelait son ex-femme en l’inondant de requêtes vient d’être condamné à lui verser plus de 100 000 $ en dommages pour « violence judiciaire ».

C’est un de ces cas absurdes où les procédures de divorce ont duré plus longtemps que le mariage. Le couple, marié en décembre 2020, s’est séparé 10 mois plus tard. L’affaire est archisimple : les conjoints n’ont pas d’enfant ; ils ont un condo et une voiture. L’homme doit racheter la moitié du condo, elle, la moitié de la voiture. Le genre de cas qui se règle à l’amiable, comme la grande majorité des affaires de divorce d’ailleurs.

Sauf que monsieur n’a pas pris cette séparation. Il a décidé d’écœurer son ex. Comme il est avocat, et professeur de droit en plus (son identité est protégée, car c’est une affaire matrimoniale), il connaît tous les trucs dans le livre et se représente lui-même. Pas madame, qui doit payer un avocat pour répondre à toutes les actions judiciaires harcelantes. L’homme a produit « plus de 30 demandes écrites et 278 pièces », en plus de tenter de faire condamner son ex pour outrage au tribunal sous des motifs bidon.

Ces gens se sont rendus 17 fois à la cour pour, essentiellement, rien.

Conclusion de la juge Marie-France Vincent : « La violence psychologique, physique, économique et sexuelle » de l’homme pendant leur brève union s’est prolongée en « violence judiciaire ». C’est en effet une manière de contrôle qu’il tente d’exercer sur son ex en envoyant 1100 courriels à son avocat et en introduisant des recours chaque semaine. L’affaire a rebondi six fois en Cour d’appel, sans compter toutes les séances en Cour supérieure.

La juge calcule que ce divorce aurait dû coûter au plus 5000 $ en honoraires. Mais à cause de ce harcèlement, les honoraires de la femme dépassent les 100 000 $.

L’homme est avocat et sait que « les dossiers de divorce sont à huis clos. Or, cela ne l’empêche pas de menacer madame de représailles sur la place publique ». C’est pourtant lui qui devrait faire l’objet d’une enquête de son ordre professionnel, pour abus de procédure caractérisé.

Je passe sur les détails particulièrement pénibles de cette affaire pour sauter à la conclusion : pour finir, la juge condamne l’homme à verser 95 000 $ à madame pour rembourser ses honoraires inutilement dépensés par sa faute. Plus 10 000 $ en dommages moraux, 7500 $ en dommages « punitifs » pour ses abus à la cour, et 5000 $ pour ses abus pendant leur vie commune – 117 500 $ au total.

Je l’ai dit : ces cas heureusement sont rarissimes.

Ce qui est intéressant ici est l’utilisation du concept de « violence judiciaire ». C’est la reconnaissance par la cour qu’une action en justice peut constituer une forme de violence.

J’ai eu beau chercher dans les banques de données, je n’ai trouvé que deux cas où la cour reconnaissait l’existence de la « violence judiciaire ». Les deux sont de 2023. À part celle que je viens de citer, datée du mois d’octobre, une autre, le 31 mai, est signée par la juge Katheryne Desfossés. Elle donne raison à une femme qui se faisait harceler aussi dans une affaire de séparation par son ex (se représentant également seul) et se plaignait de « violence judiciaire ». La juge conclut à de l’abus et condamne l’homme à payer 5000 $, compte tenu de leurs faibles moyens.

Que des gens utilisent les procédures judiciaires de mauvaise foi, en particulier pour poursuivre le contrôle sur une ex-conjointe, n’a rien de nouveau. Ce qui est nouveau, à mon avis, c’est que la chose est nommée pour ce qu’elle est : une forme de violence psychologique.

Au Québec, heureusement, la plupart des affaires matrimoniales se règlent à l’amiable. Il reste tout de même un noyau dur de cas où, sans aller jusqu’à des situations aussi extrêmes que celles citées plus haut, des ex-conjoints engloutissent de l’argent qu’ils n’ont pas en querelles totalement vaines. Les tribunaux ont énormément de difficulté à freiner ces dérives. Tant mieux, donc, si l’on appelle les choses par leur nom. Vivre une traversée judiciaire laisse des marques, et pas seulement financières.

L’autre jour, je parlais de l’abus ordinaire des tribunaux. Les affaires de divorce sont évidemment un bouillon de culture très riche pour les ressentiments, vengeances et autres querelles d’ego meurtris. Mais la violence et l’intimidation judiciaires s’exercent dans tous les domaines, et beaucoup trop facilement.

Il est temps de l’appeler par son nom et de la sanctionner.