L’erreur qu’il ne faudrait pas faire serait de commenter les compressions budgétaires (excusez… les pressions budgétaires, comme on suggère de le dire à Radio-Canada) annoncées par Catherine Tait, PDG du diffuseur public, en les opposant à la crise que vivent les médias du secteur privé au Canada.

Il serait trop facile de minimiser ces coupes sous prétexte que CBC/Radio-Canada est largement financée par l’argent public. L’annonce faite lundi, à quelques semaines du temps des Fêtes, touche des centaines d’hommes et de femmes qui ont à cœur leur métier qui est celui de nous divertir et de nous informer tous les jours.

Bref, ne tirons pas sur l’ambulance !

On connaît maintenant le premier objectif à atteindre : 125 millions de dollars à retrancher au cours de l’année 2024-2025 et 100 millions pour chacune des deux années subséquentes.

Cela va se refléter par la perte de 600 postes détenus par des syndiqués, des non-syndiqués et des cadres, de même que par 200 postes vacants qui ne seront pas renouvelés. Ça représente 10 % des effectifs de CBC et Radio-Canada, dont le nombre d’employés s’élève à 6000.

Tout cela peut encore changer, a tenu à préciser plusieurs fois Catherine Tait lors de la rencontre que j’ai pu suivre. Cela peut aller pour le mieux, comme pour le pire.

Mme Tait a invoqué diverses raisons qui poussent la haute direction de la société d’État à prendre ces décisions, notamment l’augmentation des coûts de production, la concurrence « féroce » des géants du numérique, mais surtout la baisse des revenus publicitaires tirés de la télévision traditionnelle.

Il est intéressant de noter qu’en mars dernier, lorsque les premiers bruissements concernant ces compressions sont apparus, il n’était question que de l’effort de guerre que devait faire CBC/Radio-Canada avec les autres sociétés d’État fédérales pour aider le gouvernement à réduire ses dépenses.

Mais depuis quelques mois, on ne parle que de la chute des revenus publicitaires.

Je suis retourné lire le rapport annuel 2022-2023 de CBC/Radio-Canada, dans lequel on apprend que la société d’État a enregistré des revenus (publicitaires, abonnements, divers) de l’ordre de 515 millions, soit une chute de 20 % par rapport à l’année précédente.

On peut toutefois y lire que les revenus de l’exercice ont diminué principalement parce que les résultats précédents comprenaient « des revenus supplémentaires tirés de la publicité et des droits de diffusion grâce à la couverture des Jeux olympiques de Tokyo 2020 et de Beijing 2022, qui ont eu lieu pendant le même exercice à cause de la pandémie ».

Ce ne sont pas ces données qui ont alerté les dirigeants de CBC/Radio-Canada, mais celles des deux derniers trimestres de 2023 (avril-mai-juin et juillet-août-septembre). Les revenus affichent un recul de 7,5 %, soit une perte de 18 millions par rapport à l’année précédente. Ce résultat est surtout attribuable à une baisse des revenus publicitaires de la télévision.

Ce signal d’alarme amène aujourd’hui la direction de Radio-Canada à prendre des décisions difficiles. Des sources me disent que les patrons de tous les secteurs ont retourné chacune des pierres au cours des derniers mois. Ils ont multiplié les avertissements. Les moindres dépenses sont scrutées. Les déplacements et les voyages sont rares. Les embauches ont été gelées.

La partie la plus inquiétante dans l’allocution de Catherine Tait a porté sur les 40 millions qui seront retranchés dans le secteur de la programmation « en diminuant l’acquisition de contenu et les commandes de productions indépendantes ». Qu’est-ce que cela veut dire pour vous et moi ? Qu’il y aura moins de nouvelles émissions télé et moins d’épisodes pour certaines séries.

Beaucoup de gens se foutent de Radio-Canada comme de l’an quarante, de son financement et de son avenir. J’ai bien hâte de voir leur réaction quand les décisions annoncées auront un impact sur « leurs beaux programmes ». Car s’il y a une chose qui est sacrée pour les Québécois, c’est bien LEUR télévision.

Oui, l’erreur à ne pas faire serait de profiter de ces compressions pour taper davantage sur la tête de CBC/Radio-Canada et de son financement public que certains qualifient d’exagéré. Catherine Tait aime à répéter que le financement de Radio-Canada est l’un des moins coûteux au monde avec 33 $ par Canadien. Elle a raison de le dire.

Avec leurs 149 $ et 104 $ par citoyen, l’Allemagne et le Royaume-Uni montrent que le montant que nous payons, pour avoir deux réseaux distincts (surlignons cet aspect avec un crayon jaune, s’il vous plaît), est une véritable aubaine.

Cela dit, s’il faut débattre du financement de CBC/Radio-Canada, de son indépendance face à la performance et, surtout, des revenus publicitaires que la télévision et le numérique engendrent (ironiquement, la société d’État est devenue dépendante d’un système qui est au cœur de la crise des médias privés), faisons-le en protégeant cette institution publique, c’est-à-dire en lui assurant une pérennité avec un financement adéquat et stable, mais surtout dépolitisé.

Pour le moment, les compressions qui sont faites visent à éviter une catastrophe budgétaire. Mais si le chef du Parti conservateur, Pierre Poilievre, met à exécution ses menaces de mettre la hache dans le financement de CBC/Radio-Canada si jamais il est élu, on risque de vivre autre chose.

On ne parlera plus alors de budget et de revenus publicitaires, mais de la dérive de notre propre démocratie. Ça sera nettement moins drôle que de perdre quelques beaux programmes !