Il y a quelques années, j’ai profité de la mort de David Bowie pour écrire dans La Presse que je me verrais bien mourir à 69 ans, moi aussi. Il y avait eu un petit tollé dans ma messagerie.

J’avais expliqué que 68,9 ans, c’était à peu près l’espérance de vie en santé pour un homme dans ce pays (ça dépend des façons de calculer, aussi)1. Et qu’il ne me déplairait pas de mourir très exactement à cet âge pour éviter les naufrages de la vieillesse, mon général2.

Après 69 ans et des miettes, statistiquement, les morceaux commencent à s’effriter. Vous êtes hors garantie, et si vous espérez contracter une assurance prolongée, il fallait commencer à manger des fruits et légumes bien avant 69 ans, sans oublier vos 20 minutes minimum de cardio par jour…

Cela avait insulté bien des lecteurs approchant de cet âge – ou l’ayant dépassé – et qui se disaient en pleine forme. J’avais été particulièrement ébranlé par le message d’un de ces papys pétants de santé qui m’avait suggéré de me suicider en me promettant d’aller pisser sur ma tombe…

J’avais trouvé ça un peu excessif, mais ce monsieur annonçait parfaitement les crinqués de la pandémie qui sont sortis de Facebook comme les zombies sortent des sous-bois…

Bon, où m’en allais-je avec ma marchette ? Ah oui : l’espérance de vie n’est pas le curseur idéal quand on parle de vieillir. Il faudrait regarder l’espérance de vie en santé. Là, les gains sont moins grands.

Ce qui m’amène aux nouvelles concernant les vieux, ces derniers jours. Je résume : les nouvelles ne sont pas bonnes. Il ne fait pas bon vieillir, pas plus qu’en 2016. Je ne parle pas ici des morceaux qui commencent à tomber. Je parle de la société.

Mes collègues Katia Gagnon et Ariane Lacoursière ont exploré la vague de fermetures dans les résidences privées pour aînés en 2023 : 77 RPA ont changé de vocation, 2700 places se sont évaporées3.

Hausse des coûts, problèmes de recrutement de personnel : les facteurs habituels expliquent ces fermetures, alors que le pic de vieillissement de la population n’est pas encore atteint (il le sera en 2031). Résultat net et cruel : des vieux sont évincés.

Des très vieux, aussi : Monique Lauzeau-Parent a dû déménager à l’âge de 97 ans. Heureusement, elle était bien entourée, sa famille s’est mobilisée pour lui trouver un autre chez-soi… À 1000 $ de plus par mois.

On parlera un autre jour de ces résidences pour vieux haut de gamme à 5000, 6000 ou 8000 $ par mois, les RPA de luxe. Tu mets de l’argent toute ta vie de côté pour payer plus cher qu’une mensualité de prêt hypothécaire quand t’es vieux…

Ça ne donne pas envie de vieillir trop longtemps, mettons !

Toujours la semaine dernière, la commissaire à la santé et au bien-être, Joanne Castonguay, a présenté un rapport montrant les carences en maintien des vieux à domicile. Le système actuel, dit-elle, va crouler sous son propre poids, financièrement parlant. Garder les vieux à la maison est pourtant payant pour la société et pour les vieux, individuellement.

Je souligne qu’en 2031, pic du vieillissement, 25 % des Québécois auront 65 ans et plus. Ça fera beaucoup de vieux qui auront besoin de beaucoup de services de toutes sortes.

On peine à s’occuper de nos vieux actuellement, à 20 % de la population. Qu’en sera-t-il dans quelques années ?

Bref, physiquement, les années au-delà de 69 ans sont statistiquement une longue gestion de bobos. Et collectivement, on s’occupe moyennement bien de nos vieux. Je ne sais pas si à 97 ans, j’aurai assez de résilience pour me trouver un autre appartement… Je n’aurai probablement pas assez de résilience pour trouver la télécommande sous le pouf du salon, à cet âge.

Je consulte encore ma chronique sur mourir à 68,9 ans… Je remarque la date : 2016. J’aurais juré, comme je l’ai écrit au début de la chronique que vous lisez en ce moment, que c’était « il y a quelques années » à peine.

Huit ans, je vous le demande, est-ce « il y a quelques années » ?

Huit années qui ont passé si vite. Un claquement de doigts. Dans huit ans, j’en aurai 60. Dans deux claquements de doigts, donc, j’en aurai 68, à un an de la fin de ma garantie…

Je me regarde aller ces jours-ci, à multiplier le cardio et à doubler mes portions de légumes et de fruits. Je tiens mes résolutions de quinquagénaire…

C’est contradictoire, au fond : plus je passe de temps à 150 battements par minute, plus je mange de bleuets et de brocolis, plus je prends les moyens pour dépasser les 68,9 ans et découvrir les naufrages de l’âge avancé…

Faudrait que je me branche, j’ai encore quelques années pour me faire une tête.

1. Lisez la chronique « Je veux mourir à 69 ans » de Patrick Lagacé 2. Consultez une fiche de L’Internaute 3. Lisez le dossier « Résidences pour aînés : la vague d’évictions se poursuit »