Cinq et demie près du métro Verdun. Salle de bains « apportez votre poncho » avec pluie d’eau brunâtre. Jolis balcons qui menacent de s’effondrer. Plafonds percés. Eau chaude pour la douche en extra. Moisissures incluses. Propriétaire négligent. Airbnb adjacent. À qui la chance ?

Ce n’est pas exactement la description d’un logement idyllique où mettre au monde un enfant. C’est pourtant dans un tel taudis qu’Isabelle Gagnon et son conjoint Maxime Pilon vivent désormais avec leur nouveau-né.

Leur histoire, racontée lundi par ma collègue Katia Gagnon1, est à l’image d’un problème qui prend de l’ampleur au Québec. En pleine crise du logement, avec l’explosion des loyers, un nombre croissant de locataires sont prisonniers de leur logement insalubre.

Pour les propriétaires délinquants, c’est l’aubaine rêvée. Ils savent que même en ne faisant rien pour régler les problèmes d’insalubrité, ils ont des locataires captifs. Et si jamais les locataires finissent par partir, c’est mieux encore. Ils pourront rénover, augmenter le loyer ou transformer le logement en Airbnb à fort prix.

Pour les locataires, c’est un cauchemar. S’ils restent dans leur taudis, ils mettent leur santé et leur bien-être en péril. S’ils partent, ils n’ont nulle part où aller à un prix abordable. Ils risquent d’être pris à la gorge financièrement.

À bien des égards, il n’y a rien de vraiment nouveau sous le toit percé des taudis montréalais. En 2015, un rapport de la Direction de santé publique (DSP) de Montréal révélait que le tiers des ménages montréalais faisait face à au moins un problème d’insalubrité2. Vermine, moisissures, infiltration d’eau, rongeurs, alouette… C’est le lot de milliers de Montréalais qui n’ont pas exactement choisi d’avoir des rats ou des coquerelles comme colocataires ou de voir leurs enfants développer des problèmes respiratoires.

« Le prix élevé des logements contraint certaines personnes à demeurer dans un logement insalubre, faute de pouvoir trouver un logement adéquat à prix abordable », expliquait-on. Les médecins cliniciens de la Santé publique notaient déjà qu’il était très difficile de relocaliser dans des logements sains et abordables des locataires devenus malades à cause de conditions insalubres d’habitation.

Une décennie plus tard, avec l’actuelle crise du logement, le problème s’est accentué. Si bien que des médecins ne peuvent plus vraiment dire aux locataires de quitter leur logement insalubre. Car où iraient-ils au juste ? S’ils ont un logement abordable, ils le gardent, aussi insalubre soit-il3.

On tend à réduire les enjeux liés à la crise du logement à la question de l’itinérance, qui en est la manifestation extrême la plus visible. Mais ce n’est que la pointe de l’iceberg. Sous les eaux agitées de la crise où naviguent joyeusement des spéculateurs immobiliers et des propriétaires sans scrupules, une multitude de problèmes moins visibles prennent de l’ampleur. L’insalubrité et le coût trop élevé des logements en font partie. Et il s’agit de réels enjeux de santé publique, rappelait la DSP de Montréal en 2015.

Bien que le rapport n’ait pas été mis à jour depuis, tout indique que la situation est pire que jamais. La Dre Marie-France Raynault, directrice scientifique de l’étude en question, menée avec le Centre Léa-Roback, observe plusieurs indices qui pointent dans cette direction. L’absence d’incitatif à rénover pour les propriétaires délinquants dans un contexte où ils n’ont pas de mal à trouver des locataires. Le fait que l’on compte plus de migrants qu’en 2015 et qu’il s’agit de personnes qui ne connaissent pas leurs droits. Les répercussions de l’inabordabilité du logement qui sont décuplées par l’inflation alimentaire. Le manque criant de logements sociaux qui fait en sorte qu’il n’y a aucune concurrence pour les propriétaires délinquants…

Si les citoyens les plus démunis demeurent les premières victimes de la crise du logement et les plus susceptibles de se retrouver prisonniers d’un logement insalubre, le portrait des locataires de taudis s’est diversifié avec le temps. Avant, c’était le lot de migrants, d’aînés vulnérables, de personnes à faibles revenus ou vivant de l’aide sociale, naufragés de la société.

Aujourd’hui, dans les taudis, on trouve aussi des ménages de la classe moyenne qui ne cumulent pas tous ces facteurs de vulnérabilité. Des travailleurs qui ont de bons emplois, mais qui savent trop bien que s’ils quittent un logement à 900 $ ou 1000 $ par mois, ils courent vers le surendettement et ne trouveront rien à un prix abordable.

Les solutions existent pour peu que l’on reconnaisse que le droit à un logement salubre et sain n’est pas un luxe et que l’habitation n’est pas un secteur d’investissement comme un autre que l’on pourrait laisser se réguler tout seul, au gré des lois du marché.

En 2015, le directeur de santé publique de Montréal recommandait notamment que l’on mette en place une procédure d’inspection des logements fondée sur des critères de santé publique avant de les mettre en location. Dans un contexte où l’approche actuelle de la Ville de Montréal n’est pas assez coercitive et que les amendes aux propriétaires délinquants ne sont pas suffisamment élevées pour avoir un effet dissuasif, ce serait un outil préventif fort utile pour lutter contre l’insalubrité. Pour l’heure, un projet de certification de « propriétaire responsable » vient d’être lancé par la Ville pour agir en amont et jouer ce rôle préventif. Mais sa première phase ne vise que les immeubles de 100 logements et plus.

Comme le rappelle l’urbaniste Gérard Beaudet en entrevue à L’actualité, « aucun pays n’a jamais réussi à résoudre une crise du logement sans que l’État intervienne ».

Intervenir ne veut pas dire ici de recommander aux locataires lésés d’investir en immobilier, comme l’a déjà fait la ministre responsable de l’Habitation, France-Élaine Duranceau. Il s’agit plutôt d’investir dans des mesures de soutien étatiques pour que plus personne ne soit contraint de vivre dans un taudis.

1. Lisez le reportage « Crise du logement : “On est plus que découragés” » 2. Consultez le rapport Pour des logements salubres et abordables 3. Lisez le reportage « Le 4790, rue Sainte-Catherine Est : le calvaire des locataires »