Il y a de quoi hurler en constatant l’isolement dans des conditions quasi carcérales d’enfants décrits comme simplement « tannants » dans un centre jeunesse géré par la DPJ.

C’est La Presse qui a révélé1 qu’un manque d’espace au centre jeunesse Cartier, à Laval, fait qu’on isole dans des cellules des enfants parfois âgés d’à peine 9 ans pour le « crime » d’avoir été turbulents pendant un repas.

Ce qu’on appelle l’« unité de retrait » sort d’un monde ancien et témoigne de la vétusté des lieux. On y trouve des cellules où des enfants sont donc envoyés non pas parce qu’ils représentent un danger pour eux-mêmes ou pour les autres, mais parce qu’ils ont été « tannants ».

« On va en faire des monstres », a déclaré une des sources des journalistes Caroline Touzin et Ariane Lacoursière.

Branle-bas de combat à Québec : le ministre Lionel Carmant a demandé une enquête et la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse a aussi annoncé sa propre enquête.

Mon bogue : la sous-ministre chargée de l’enquête du ministère de la Santé et des Services sociaux, Catherine Lemay, chapeaute la structure qui n’a pas vu qu’à Laval, des enfants sont envoyés dans ce qu’on doit appeler des cellules.

Mme Lemay est issue de la machine de la DPJ, personne ne peut douter de son expertise en matière de protection de la jeunesse. En plus de son titre de sous-ministre, elle porte celui de « directrice nationale de la protection de la jeunesse ».

Mais Mme Lemay est d’abord et avant tout une sous-ministre. Les sous-ministres ne sont pas programmés pour embarrasser leur ministère (et leur ministre). S’il y a des constats embarrassants à faire, les sous-ministres les font derrière des portes closes… Mais c’est donc une sous-ministre qu’on envoie enquêter sur les incarcérations d’enfants dans un centre de la DPJ à Laval.

Le risque ici est qu’on rejoue dans le film « Horacio Arruda », directeur national de santé publique en son temps, lui aussi sous-ministre et qui marchait main dans la main avec le politique, souvent au mépris de la science. Les bémols qui emmerdaient le gouvernement pendant la pandémie ne sont pas venus de la Direction nationale de santé publique dirigée par le sous-ministre Arruda, ils sont venus des experts universitaires en santé publique et des directions régionales.

Je parle de DPJ. Je parle de pandémie. Mais au fond, je parle de contre-pouvoirs, ces institutions irritantes pour le pouvoir, qu’importe le parti qui l’exerce.

Prenez la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels, ce qu’on appelle la loi sur l’accès à l’information. Cette loi est en fait une loi sur le déni de l’accès aux documents des organismes publics, composée d’exceptions si nombreuses et de clauses de protection si larges du secret industriel que quand vous accédez finalement à un document, vous n’apprenez pas grand-chose.

C’est vrai à Québec, c’est vrai à Ottawa. Et malgré les promesses de réformer les lois au fil des années pour que l’accès à l’information soit la norme plutôt que l’exception, rien ne change.

Pourquoi ?

Il ne faut pas être théoricien du complot pour comprendre que ces lois qui complexifient l’accès aux documents publics sont une garantie de contrôle du message pour les gouvernements, un vaccin contre l’embarras politique.

Prenez Northvolt. Les journalistes ne peuvent pas vraiment compter sur la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics pour avoir une idée de ce que compte rejeter dans l’air et dans l’eau le géant suédois de la batterie2. Les documents que les journalistes parviennent à obtenir sont la plupart du temps à ce point caviardés qu’on a l’impression de consulter la carte routière d’un pays étranger… sans les noms des villes, des villages et les numéros des routes.

Toujours dans le volet contre-pouvoirs : Northvolt aurait pu expliquer publiquement les tenants et aboutissants de son projet dans le cadre d’une évaluation du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE). Mais un changement réglementaire (entré en vigueur en juillet  2023) avant le début des démarches officielles en vue de l’autorisation du projet (en septembre 2023) fait en sorte que Northvolt n’a pas à soumettre l’entièreté de son projet à une telle évaluation3. C’est un timing… providentiel.

Je reviens aux enfants de la DPJ. Un projet de loi est à l’étude à Québec pour donner suite à une recommandation de la commission Laurent, soit la création d’un poste de commissaire aux droits des enfants. Le genre de contre-pouvoir qui devrait hurler pour les enfants de la DPJ, qu’ils soient traités comme des détenus ou pas…

Cependant, le ministre Lionel Carmant ne veut pas que ce commissaire ait trop de pouvoirs4, ce qui lui vaut une levée de boucliers. Même Régine Laurent a émis des réserves5.

À quoi bon avoir un commissaire aux droits des enfants si celui-ci est édenté dès la création du poste ?

Ma réponse de cynique : ça limite les dommages qu’un tel contre-pouvoir peut infliger à un gouvernement.

1. Lisez le dossier « Des “tannants” en retrait dans des cellules » 2. Lisez l’article du Devoir « Un document caviardé à la demande de Northvolt » 3. Lisez l’article « “On n’aurait pas eu de projet” avec un BAPE, affirme Benoit Charette » 4. Lisez l’article du Devoir « Carmant inflexible sur les pouvoirs du futur commissaire aux droits des enfants » 5. Lisez l’article « Québec crée un poste de commissaire au bien-être et aux droits des enfants »