L'ex-directeur général de la Ville de Laval devenu délateur, Gaétan Turbide, n'a pas témoigné comme prévu à la commission Charbonneau parce qu'il a échoué au test du polygraphe, a appris La Presse.

Un échec qui pourrait aussi remettre en question son statut de «témoin collaborateur de justice».

Le 15 mai au matin, la procureure en chef de la CEIC (Commission d'enquête sur l'industrie de la construction) Sonia LeBel a annoncé devant les caméras de télévision et à la surprise générale qu'à «9h15 [...] les procureurs de la Commission ont appris des informations qui leur font sérieusement mettre en doute la crédibilité» de Gaétan Turbide, témoin du jour très attendu.

Maître LeBel n'avait pas donné plus de détails ni révélé l'identité de cette source officielle extérieure à la Commission.

Gaétan Turbide, qui attendait dans les coulisses, a été renvoyé chez lui et libéré de ses engagements à sa grande surprise. C'est son ex-adjoint Jean Roberge qui a été le premier à ouvrir la portion sur Laval.

Sur l'acte d'accusation des 37 personnes arrêtées le 9 mai par l'UPAC dans le cadre de l'enquête Honorer sur Laval, il est écrit que Gaétan Turbide a pris part au «complot». Mais il n'est pas accusé. La raison est qu'il a accepté de collaborer avec les enquêteurs de l'escouade Marteau qui travaillent depuis presque trois ans sur ce dossier.

Quatre autres personnes sont citées, mais pas accusées: Jean Roberge, son ex-adjoint à la Ville de Laval, Roger Desbois, Marc Gendron et Gilles Théberge, tous appelés aussi devant la CEIC.

Entente avec le DPCP

Tout «témoin collaborateur de justice», ou délateur dans le langage commun, signe une entente avec un «Comité de contrôle» composé du Procureur général (Directeur des poursuites criminelles et pénales - DPCP) et du corps de police concerné.

Elle fixe les conditions, les engagements réciproques, le montant de la rémunération s'il y a lieu.

Selon les directives du DPCP, plusieurs facteurs sont pris en compte avant d'autoriser une telle entente, dont «la crédibilité du collaborateur de justice» et le test polygraphique, ou détecteur de mensonges. Ce «test est exigé», est-il écrit.

Pourquoi? Pour éviter que la crédibilité de celui qui sera témoin-vedette de la poursuite soit écorchée par la défense lors du procès.

Trop stressé?

Gaétan Turbide a passé ce test au mois d'avril, semble-t-il. Il n'a pas été concluant.

Mais tout délateur vit forcément un stress à cause de la crainte des représailles, des rencontres quasi quotidiennes avec la police. Se peut-il que Gaétan Turbide n'ait pas été au mieux de sa forme ce jour-là au point que ses réactions physiques ont trompé l'appareil?

L'ex-enquêteur de la SQ et expert polygraphiste John Galianos explique que tout bon opérateur de polygraphe «sait prendre ces facteurs en considération. À la SQ et au SPVM, ils sont très bons. Tout le monde est très stressé au moment de passer ce test».

Il ajoute qu'on peut très bien ne pas mentir dans nos réponses à des questions spécifiques, mais échouer au test par exemple parce qu'on «cache quelque chose d'important. Un mensonge, c'est comme 152 dominos sur la table. Un tombe et tout tombe».

Mais les statistiques révèlent une marge d'erreur d'environ 5% de faux positifs et faux négatifs.

Un problème plus grand

Il n'empêche que plusieurs sources ont indiqué à La Presse que le statut de témoin collaborateur, qui a aussi évité à Gaétan Turbide d'être arrêté et accusé lors de la rafle de l'UPAC à Laval, pourrait donc avoir du plomb dans l'aile à cause de cet échec. C'est une condition essentielle, dit même une source bien informée.

Quant à la déclaration-choc de la procureure Lebel qui a publiquement déboulonné la crédibilité de ce témoin-vedette de la CEIC et de l'enquête Honorer, elle a provoqué stupeur et grincements de dents au sein de la police.

Néanmoins, la preuve bâtie contre les 37 personnes arrêtées dans l'enquête Honorer serait suffisamment solide. Elle repose sur les déclarations de 150 témoins, 70 perquisitions et 30 000 conversations interceptées.

Gaétan Turbide n'a pas rappelé La Presse.

Ni le ministère de la Justice ni celui de la Sécurité publique n'ont voulu commenter.

La CEIC indique qu'aucune décision définitive n'a encore été prise sur une éventuelle comparution ultérieure de Gaétan Turbide.