Même Jean Charest ne pourra sauver la mise pour Pauline Marois. Le gouvernement a retardé cette semaine l'adoption du décret pour l'élection complémentaire dans Bonaventure - le scrutin ne se tiendra pas avant le prochain conseil national du Parti québécois.

Une défaite péquiste, probable dans cette circonscription traditionnellement libérale, aurait à l'évidence scellé le sort de la chef, assiégée par ses propres troupes depuis des semaines. Mais le chef libéral devra, à regret, probablement composer avec le départ de cette rassurante rivale. Déjà en danger, Mme Marois a eu un premier sursis avec la victoire-surprise du PQ dans Kamouraska, il y a un an. Le débat sur la corruption dans la construction s'étiolait quand elle a bénéficié d'un autre bol d'oxygène inespéré, le rapport de Jacques Duchesneau.

Le conseil national de décembre, une élection partielle dans Bonaventure et les sondages, incontournables; les prochaines semaines de Mme Marois seront pour elle une course à obstacles jusqu'aux Fêtes. Et la course s'annonce bien difficile.

«Je ne vous dis pas que l'heure n'est pas grave, Mme Marois a décidé de rester à la barre du Parti québécois, et c'est une bataille qui, à mon avis, se joue jour après jour, d'heure en heure. En ce moment même», dit Raymond Archambault, président du PQ. «La semaine a énervé les présidents d'association, il y a des députés qui ont été un peu ébranlés, mais personne ne claque la porte», a-t-il expliqué à La Presse.

Car la chef péquiste a fait face à une véritable fronde au sein de son caucus cette semaine. Surtout, elle n'est pas au bout de ses peines. Dans les prochains jours, il est à prévoir que des associations de circonscription se mettront de la partie. En prévision du conseil national, des textes de résolution circulent déjà demandant le départ de la chef, une proposition soumise à un vote secret. Hier, M. Archambault cherchait fébrilement l'origine de ces courriels, largement diffusés sur l'internet - aucune des associations jointes n'en avait entendu parler.

La chef, finalement présente demain à Tracy

Mme Marois s'est imposée au brunch de demain, à Tracy. Le député Sylvain Simard, qui avait appelé Gilles Duceppe de tous ses voeux au départ d'André Boisclair en 2007, a invité l'ancien chef bloquiste à s'adresser aux militants de Richelieu. Mme Marois tardait à confirmer sa participation. Tout à coup, une fois la présence de Duceppe confirmée, la chef est devenue disponible. Si disponible en fait que c'est elle qui prononcera le discours demain - M. Duceppe n'a plus qu'à chauffer la salle pour la présenter...

Au congrès de juin 2005, il avait le même mandat, mettre le chef Bernard Landry en valeur. Duceppe avait parlé pendant 45 minutes, coupant volontairement l'herbe sous le pied du chef du parti. «Si j'avais su, j'aurais pris une salle plus grande», a ironisé hier le président de l'association péquiste de Richelieu, Marcel Fafard. Il avoue ne pas comprendre la frénésie qui a gagné les députés cette semaine - Mme Marois n'est pas aussi contestée que le prétendent les médias, selon lui.

Cette semaine, Mme Marois a pourtant fait face à une fronde concertée d'une dizaine de députés «qui ont vidé leur sac», résume-t-on. La plupart ont été élus pour la première fois en 2008.

Les plus expérimentés jouent de finesse; Bernard Drainville s'est déguisé en courant d'air au moment crucial, pour une réunion dans Roberval à coup sûr plus importante que la réunion où il aurait eu à prendre position devant ses pairs. Mais le lendemain, il a rencontré Mme Marois en privé, un face-à-face largement médiatisé, sans qu'on sache en définitive s'il appuie sa chef. Sylvain Simard soutient Marois, mais invite Duceppe dans Richelieu. François Gendron joue les messagers des doléances de ses collègues, le rôle qui convient à un doyen... qui a déjà fait l'intérim entre deux chefs.

Un reportage de La Presse, cette semaine, a subitement forcé tout le monde à mettre cartes sur table au cours de deux huis clos intenses, mercredi. Stéphane Bergeron veut dominer le débat, forcer une coalition avec Québec solidaire, mais s'est contenté d'observations bien inoffensives en caucus.

Des présidents d'associations plus loquaces que les députés

Publiquement, les députés n'ont pas voulu parler. Leurs présidents d'association sont, quant à eux, plus loquaces. «Vous savez bien que Mme Marois n'a pas la sympathie de la population. Les gens souhaitent du changement», dit Bertrand Lefebvre, président de Masson, circonscription du député Guillaume Tremblay, un des moteurs de la fronde.

Daniel Ratthé, député de Blainville, était ulcéré devant les articles qui l'ont présenté comme un mutin. «Je n'ai jamais désavoué mon chef publiquement», a-t-il dit candidement. Son président d'association, Maurice Rivet, a été un peu plus loquace: «Les députés se posent des questions, M. Ratthé comme les autres, avec les sondages et, surtout, ce que les gens disent. Jusqu'à maintenant, j'appuie toujours Mme Marois, mais chez les militants, c'est plutôt moitié-moitié, avec tout ce qui se passe dans le parti, les gens aiment moins ça. Cela dépendrait de qui prendrait la place... Dans notre région, M. Duceppe a toujours été bien apprécié. Cela va prendre quelqu'un de connu et aimé pour aller contre François Legault.»

Robert Dupuy, de l'association de Terrebonne, affirme que la circonscription «appuie Mme Marois» même si son député, Mathieu Traversy, associé à la fronde, «a posé des questions». «Ce n'est pas contester... On se demande s'il y a de meilleures façons de faire les choses», insiste M. Dupuy.

Le PQ a toujours l'image du «parti qui tue ses chefs». Cette fois, c'est différent. Parmi les péquistes, on ne retrouve pas l'acrimonie évidente qui a forcé les départs de Pierre Marc Johnson, en 1987, et d'André Boisclair, 20 ans plus tard.

Sur son blogue, Alexandre Bourdeau, ancien député péquiste de Berthier, recommande à Mme Marois de passer la main. «Elle ne méritera pas de passer pour la fossoyeuse du parti aux prochaines élections.» Mme Marois «ne mérite pas ce qui se passe actuellement, mais on est à l'ère du clip, l'opinion est cristallisée et si elle reste... elle va subir une raclée aux prochaines élections», déplore M. Bourdeau, joint par La Presse. Pendant ce temps, Gilles Duceppe a rangé son vélo. Il tient salon, rencontre sa cour au Petit Bistro, rue Fullum, en attendant le prochain sondage.