Un conflit entre l'ancienne et la nouvelle garde, chez les mafiosi, pourrait expliquer les attentats contre le clan Rizzuto, a déclaré hier Denis Mainville, commandant de la division du crime organisé de la police de Montréal.

«Il y a des dissensions entre la nouvelle génération et l'ancienne, a souligné M. Mainville. On voit qu'il y a des frictions à l'interne, mais il faut demeurer prudent dans l'analyse qu'on en fait.»

Plusieurs grosses pointures du clan Rizzuto ont été victimes d'attentats depuis un an: Federico Del Peschio, propriétaire du restaurant La Cantina (tué en août 2009); Nicolo Rizzuto Jr., fils de Vito et petit-fils du parrain (tué en décembre); Paolo Renda, consigliere de la famille (enlevé en mai); Agostino Cuntrera, homme fort du clan (tué en juin); puis, cette semaine, le fondateur du clan, Nicolo Rizzuto, tué chez lui devant sa femme et sa fille.

Purge interne? Riposte du clan calabrais qui veut reprendre le pouvoir perdu il y a plus de 30 ans aux mains des Siciliens? «Le crime organisé est en permutation et toutes ces hypothèses sont étudiées», a insisté le commandant Denis Mainville.

Opération Colisée

Les frappes policières d'envergure des dernières années, à commencer par l'opération Colisée, organisée contre la mafia en 2006, ont fortement déstabilisé les assises du crime organisé. «Le terrain a été ouvert et tout le monde veut avoir sa place au soleil», a dit M. Mainville.

Faute d'une direction claire, tous les coups semblent permis. «Il existe un respect à certains égards, notamment pour la division du territoire et le type d'activités criminelles, mais ça joue dur entre les groupes», a-t-il dit.

Depuis un demi-siècle, la mafia montréalaise constitue une branche de la famille Bonanno, de New York. Les Bonanno sont en pleine débandade; leur chef, Joe Massino, est devenu délateur et purge une longue peine de prison. Le commandant Mainville ne croit pas qu'ils autorisent tous les meurtres et attentats qui se succèdent dans la mafia montréalaise. «Les Bonanno sont des acteurs très importants, mais il y en a d'autres», a-t-il souligné.

La revanche du clan calabrais, renversé par le clan sicilien des Rizzuto il y a 30 ans, n'est que l'une des hypothèses avancées par les enquêteurs. Des mafieux siciliens de la nouvelle génération veulent aussi se débarrasser des Rizzuto, qui ont fait bien des mécontents pendant leur long règne. Depuis deux ans, ils avaient fait savoir que tous ceux qui leur devaient de l'argent devaient payer leurs dettes.

Un homme visé depuis longtemps

Une anecdote révèle de façon assez particulière que ce n'est pas d'hier que des criminels branchés sur le clan calabrais de l'Ontario envisagent de tuer le vieux Nick Rizzuto. En 2005, un dénommé Sergio Piccirilli s'est joint aux frères D'Amico, de Granby, pour lancer un assaut contre Nick Rizzuto et ses associés du café Consenza, qui leur servait de quartier général. Depuis 20 ans, Piccirilli versait au clan Rizzuto un pourcentage des profits qu'il tirait du trafic de drogue. Plus il prospérait, plus il devait payer de «taxes». Il a fini par se rebiffer et par ne plus vouloir payer. Son audace risquait de lui coûter cher. Son parrain calabrais de Toronto, Franco Mattoso, a appris que sa tête était mise à prix et l'en a informé.

En février 2005, Piccirilli s'est rendu à Toronto pour prendre conseil auprès de Mattoso. Puis il s'est rendu à Hamilton pour rencontrer les frères Giuseppe et Domenico Violi, fils du Calabrais Paolo Violi. Lorsque ce dernier a été assassiné par le clan Rizzuto, Giuseppe et Domenico avaient respectivement 8 et 12 ans. En 2005, ils étaient des hommes mûrs. Âgés de 35 et 39 ans, ils étaient très impliqués dans les activités de la mafia ontarienne. Les enquêteurs de la GRC ignorent ce que les frères Violi ont pu dire à Piccirilli, mais ils se doutent bien qu'ils ne l'ont pas encouragé à faire la paix avec le clan qui avait exécuté leur père. Bien au contraire.

Après la Noël 2005, Piccirilli s'est joint aux D'Amico pour aller intimider les habitués du Consenza. Ses hommes de main se sont postés discrètement à proximité du café pour observer les allées et venues de Rizzuto et de ses acolytes.

«Il est dans la fenêtre du café! lui a lancé un de ses hommes, armé d'un fusil, en apercevant le vieux Nick par la fenêtre. Je le vois comme il faut. Je pourrais le faire facilement!» «Ne fais rien ce soir, lui a répondu Piccirilli. Il faut que j'aille à Toronto avant.»

Une autre anecdote a valeur de symbole. Il y a 30 ans, le 17 octobre 1980, le frère de Paolo Violi, Rocco, s'est assis à la table de sa cuisine, près de la fenêtre, à Saint-Léonard. C'était le moment qu'attendait un tueur embusqué dans un immeuble à l'arrière de sa maison. Il a tiré un seul coup. La balle a traversé la fenêtre et l'a tué net. Rocco Violi était le dernier des trois frères Violi exécutés par le clan Rizzuto.

Trente ans plus tard, Nick est entré dans sa cuisine, avenue Antoine-Berthelet. Dissimulé dans les arbres d'un petit bois derrière la maison, un tueur attendait de l'avoir dans sa ligne de mire. Une seule balle a traversé la porte-fenêtre et l'a atteint mortellement. Le trou dans le verre est clair et net.

Aussi clair et net que la fin du clan Rizzuto.

L'AVENUE DE LA MAFIA

Résidence de Nicolo Rizzuto, assassiné mercredi soir par un tireur d'élite alors qu'il était dans sa cuisine. C'est là que vit sa femme Libertina Manno-Rizzuto, 83 ans, elle-même fille d'un chef mafieux sicilien.

Paolo Renda, 70 ans, vivait dans cette maison avant d'être enlevé le 20 mai dernier dans le secteur. Il était à la fois consigliere et gendre de Nicolo Rizzuto.

La luxueuse maison de Vito Rizzuto, qui avait pris les commandes de la mafia montréalaise avant d'être arrêté en 2004, puis incarcéré aux États-Unis, pour son implication dans un triple meurtre survenu en 1981 à New York. Il est le fils de Nicolo Rizzuto.

-Daphné Cameron