L’itinérance est un enjeu à multiples facettes. Mais si on veut le résoudre, il faut commencer par le commencement : un toit.

En Finlande, on appelle ça « Housing First », une approche qui a vu le jour à New York à la fin des années 1990. L’idée consiste à d’abord fournir un logement aux sans-abri, pour ensuite s’attaquer aux autres problèmes dont ils souffrent.

Après tout, chacun a droit à un logement. Le Canada a signé une convention internationale garantissant ce droit il y a plusieurs décennies. Et avec un toit au-dessus de la tête, il est plus facile de résoudre des enjeux de toxicomanie ou de santé mentale, de compléter une formation ou de se retrouver un emploi, de reprendre sa vie en main, quoi.

Ça paraît simple comme concept, mais c’est à l’opposé de l’approche habituelle où l’on fournit des soins aux itinérants dans l’espoir qu’ils parviennent ensuite à se loger.

En Finlande, la méthode a fait fondre le nombre d’itinérants de 3500 en 2008 à 1000 en 20201. Cette histoire à succès est d’autant plus frappante que l’itinérance est en hausse un peu partout à travers l’Europe… et aussi chez nous, comme on en a eu la confirmation mercredi.

Il y a 10 000 personnes à la rue au Québec, une augmentation dramatique de 44 % en cinq ans qui est encore plus forte en région qu’à Montréal. S’il est vrai que l’on peut juger du degré de civilisation d’une société à la manière dont elle traite ses personnes marginalisées, alors le Québec ne mérite pas une bonne note.

Réunis pour le Sommet municipal sur l’itinérance, les maires attendent donc de pied ferme le ministre responsable des Services sociaux Lionel Carmant, qui arrive avec une enveloppe de 15,5 millions d’argent frais visant à construire des refuges avant l’hiver.

Bien sûr, il y a urgence d’agir si on ne veut pas que des itinérants gèlent à mort, comme en janvier dernier à Montréal. À 10 jours d’intervalle, une femme dans la soixantaine était morte de froid près de l’entrée d’un métro et un homme de 74 ans avait été retrouvé gelé sous un pont d’étagement2.

C’est d’une tristesse sans nom.

Mais si on veut s’attaquer aux fondements du problème de l’itinérance, il faut sortir des solutions temporaires. Et cela passe par un toit. Un vrai.

La bonne nouvelle, c’est que le ministre des Finances Eric Girard a placé la lutte contre l’itinérance en haut de sa liste de priorités, en vue de sa mise à jour économique automnale.

Il devrait jeter un œil attentif à la formule du « Logement d’abord » qui donne des résultats probants, selon la Commission de la santé mentale du Canada qui a mené une vaste étude avec plus de 2000 personnes dans cinq grandes villes, dont Montréal, pendant deux ans.

Résultat : 62 % des participants à qui on a fourni un toit d’abord avaient été logés durant toute la période, une proportion deux fois plus élevée que du côté des participants à qui on avait plutôt fourni les services habituels3.

Et les coûts sont moins élevés qu’on pense, car la majeure partie de la facture du logement a été effacée par des économies réalisées ailleurs (par exemple : refuges temporaires, soins et services sociaux, interventions policières, etc.).

Alors, qu’attendons-nous pour mijoter la recette finlandaise à la sauce québécoise ?

Bien sûr, on ne peut jamais faire un copier-coller de la politique sociale d’un autre pays en faisant abstraction de leurs différences fondamentales.

L’une d’elles : contrairement à la Finlande, le Canada est une fédération, ce qui complique la coordination entre le fédéral, les provinces et les municipalités, les organismes communautaires…

Parfois, la main gauche ne sait pas ce que fait la main droite. Et même les cinq doigts d’une main ne savent pas toujours ce que les autres font.

L’an dernier, la vérificatrice générale du Canada a justement sonné l’alarme à propos du programme de lutte contre l’itinérance Vers un chez-soi lancé par le fédéral en 2019. Doté d’une enveloppe de 3,4 milliards, le programme a pour objectif de réduire l’itinérance de 50 % d’ici 2027-20284.

Mais après avoir dépensé 40 % de cette enveloppe, les différents ministères impliqués dans le dossier étaient incapables de mesurer l’impact de leurs efforts sur le terrain. Parti comme ça, Ottawa n’atteindra pas sa cible, prévient la VG.

C’est honteux ! De grâce, concertons-nous si on ne veut pas que des itinérants continuent de dormir sur le trottoir.

Autre différence fondamentale avec la Finlande : il n’y a pas autant de logements sociaux chez nous.

En Finlande, une entreprise financée à même les revenus de loterie a reçu le mandat de construire des logements et d’en acheter sur le marché de la revente, ce qui lui a permis de constituer un parc de plus de 5000 appartements abordables.

Au Québec, la construction de logement social et abordable est figée. Il est temps de casser le moule et d’innover. Autrement, la crise du logement va continuer d’alimenter la crise de l’itinérance. Ce n’est pas le Québec qu’on veut.

1. Consultez un chapitre d’une étude publiée par l’Oxford University Press (en anglais) 2. Lisez un article de Radio-Canada 3. Consultez un rapport de la Commission de la santé mentale du Canada 4. Consultez un rapport du Bureau du vérificateur général du Canada

La position de La Presse

Pour résoudre la crise de l’itinérance, on devrait s’inspirer de la formule « Housing First » qui a fait des miracles en Finlande. Mais pour cela, il faudra davantage de concertation entre les ordres de gouvernements afin de construire plus de logements abordables.

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