Cent dollars de plus par semaine. Cette demande des employés de Québec est un clin d’œil historique pleinement assumé. Il fait référence aux négociations houleuses de 1972 qui avaient mené en prison les trois chefs syndicaux… avant que le premier ministre Robert Bourassa finisse par plier en offrant des augmentations de près de 40 % aux employés.

Cinquante ans plus tard, le contexte est bien différent. Mais attendez-vous à ce que ça brasse cet automne. Les syndicats fourbissent leurs armes, avec une grande manifestation ce samedi à Montréal et une tournée régionale pour obtenir des mandats de grève, d’ici la mi-octobre.

Éviter la grève générale ? N’y comptez pas trop. Les syndicats veulent que ça saigne pour prouver à leurs membres qu’ils ont tout fait pour aller chercher le maximum.

Mais faut-il rappeler que ce sont les citoyens qui en paieront le prix ? Déjà, le manque de services est criant. Et la capacité de payer des contribuables n’est pas illimitée.

Québec a mis 7 milliards de dollars sur la table avec son offre qui totalise 13 % de hausse sur cinq ans. De leur côté, les syndicats réclament l’équivalent de 21 % sur trois ans.

Les employés du secteur public ont droit à notre sympathie, eux qui se sont retroussé les manches pour travailler dans des conditions difficiles durant la pandémie.

Mais il faut être réalistes. Chaque point de pourcentage de plus que Québec leur accorde videra les coffres de l’État de 600 millions de dollars. Tout ça alors que la province est encore en déficit.

N’empêche, les syndicats militent pour un « rattrapage salarial ». On comprend que l’inflation gruge leur pouvoir d’achat. Mais tout le monde y goûte, y compris les travailleurs du secteur privé qui ont des conditions de travail moins généreuses.

En 2022, les employés de l’administration québécoise ont gagné en moyenne 55 652 $. C’est 8,7 % en dessous du salaire des travailleurs du secteur privé, selon l’Institut de la statistique du Québec1.

Mais pour comparer des pommes avec des pommes, il faut tenir compte de tous les à-côtés dont bénéficie la fonction publique : congés plus nombreux, semaine plus courte, régime de retraite plus généreux, programme d’assurances, sécurité d’emploi…

En mettant tous ces avantages dans la balance, les employés de Québec ont une rémunération globale de 44,69 $ l’heure qui est 3,9 % supérieure à celle des employés du privé.

Et encore, on parle de ceux qui travaillent dans des entreprises de 200 employés et plus. L’écart serait certainement plus grand si on comparaît avec l’ensemble des travailleurs du Québec, y compris ceux qui sont à leur compte ou qui travaillent dans des plus petites entreprises.

Néanmoins, les attentes des 420 000 employés du front commun sont grandes.

Ils ont en mémoire l’augmentation de salaire déraisonnable de 30 % que l’Assemblée nationale a voté pour ses députés.

Ils constatent aussi que d’autres syndicats ont fait des gains importants en adoptant la ligne dure, à la faveur de la pénurie de main-d’œuvre. En 2022, le nombre de journées perdues à cause d’un conflit de travail a grimpé de 49 % par rapport à la moyenne des 10 années qui ont précédé la pandémie, selon RBC2.

Et ça se poursuit. Tant et si bien que les syndiqués qui ont signé un contrat de travail au cours de l’été sont parvenus à obtenir des augmentations de 7,1 % pour la première année de leur convention collective, ce qui ne s’était pas vu depuis des décennies.

Ces hausses impressionnantes risquent d’alimenter une spirale inflationniste qui nuira aux efforts de la Banque du Canada pour ramener l’inflation à la normale.

Et elles risquent d’ouvrir l’appétit d’autres syndiqués qui voudront avoir la lune, comme les policiers qui ont refusé une offre de 21 % sur cinq ans. Voilà pourquoi les négociations avec Québec s’annoncent ardues, surtout que les salaires ne sont pas nécessairement la plus grande pierre d’achoppement.

Les offres différenciées passent très croche. La Coalition avenir Québec (CAQ) a choisi d’offrir des augmentations supérieures à certains travailleurs pour agir de manière plus ciblée, là où c’est vraiment névralgique (p. ex. : des salaires plus avantageux pour les infirmières qui font des quarts de nuit ou de fin de semaine).

Or, cette approche provoque un sentiment d’iniquité au sein des troupes. Et elle crée une éternelle tentation de nivellement par le haut de la part des autres employés qui se demandent quand leur tour viendra.

Dans ce contexte de turbulence, il demeure essentiel de mener une négociation raisonnée et raisonnable.

Le gouvernement doit garder les cordons de la bourse serrés, par équité envers les employés du privé qui finiront par payer la note à travers leurs impôts, déjà les plus lourds au pays.

Et ne perdons pas de vue que, malgré l’embellie des dernières années, le Québec reste la troisième province avec l’endettement le plus élevé par habitant.

Alors que les demandes syndicales et patronales semblent aussi éloignées que la lune et le soleil, il faut donc rester les deux pieds sur terre.

La position de La Presse

Les fonctionnaires de Québec menacent de faire la grève. Mais ils doivent garder en tête la capacité de payer des contribuables, dont beaucoup de travailleurs du privé qui ont des conditions moins généreuses qu’eux… et qui subissent aussi l’inflation.

1. Consultez le rapport de l'ISQ 2. Consultez le billet de RBC (en anglais)