Montera ? Montera pas ? On saura ce mercredi matin si la Banque du Canada relève son taux directeur ou le laisse inchangé, comme bien des experts le prévoient. Mais, à ce point-ci, la vraie question est plutôt de savoir combien il faudra de temps avant que les taux d’intérêt redescendent.

Plus les mois passent, plus l’étau se resserre autour des ménages, des entreprises et des gouvernements qui voient leur facture d’intérêts gonfler.

Les propriétaires qui avaient un prêt hypothécaire à taux variable ont déjà subi la hausse de plein fouet. Mais si les taux restent élevés encore longtemps, de nombreux propriétaires qui avaient opté pour un prêt hypothécaire à taux fixe subiront aussi un choc de paiement.

Pour vous donner une idée, prenez un ménage qui a contracté un prêt hypothécaire de 350 000 $ il y a cinq ans. S’il le renouvelle aujourd’hui, son taux grimpera de 3,5 % à 5,84 %, ce qui haussera les mensualités de 22 %, soit presque 380 $. Ça fait un trou de 4500 $ dans le budget annuel.

Le choc sera encore plus grand au cours des prochaines années. D’abord parce que davantage de prêts hypothécaires viendront à échéance. Mais ensuite parce qu’ils sont assortis d’un taux encore plus bas : 2,39 % en moyenne pour ceux qui seront renouvelés en 2025 et 1,96 % pour ceux qui le seront en 2026, selon la Banque Nationale.

Alors, le contraste sera encore plus prononcé – et douloureux – avec le nouveau taux. Surtout s’il n’y a pas de baisse de taux avant un an ou deux, comme certains experts le prévoient.

Ce sera particulièrement dur pour les ménages qui ont acheté au plus fort de la pandémie. En pleine folie des surenchères, ils ont payé plus cher que prévu pour une maison dont la valeur a fondu. Cela leur laissera peu de marge de manœuvre pour absorber une hausse de paiements hypothécaires… à part réduire les dépenses de consommation discrétionnaire.

Déjà, on sent que les ventes au détail ont du plomb dans l’aile. On voit que les ménages ont plus de mal à rembourser leur carte de crédit et leur prêt auto. Ce n’est pas un hasard si les dossiers d’insolvabilité au Canada ont augmenté de 22 % chez les consommateurs et de 37 % chez les entreprises, depuis 12 mois.

Ce ressac risque de mener l’économie en récession. Mais c’est le prix à payer pour mater l’inflation, qui est un mal encore plus grand.

Or, il est difficile de croire que la Banque du Canada pourra réduire l’inflation qui reste trop élevée du côté des services, en raison des hausses salariales, sans que cela se traduise par des pertes d’emploi qui redonneront un pouvoir de négociation aux employeurs.

L’économie canadienne s’en sortira peut-être grâce à la vigueur des États-Unis qui lui servira de locomotive. Là-bas, les ménages sont moins touchés par la hausse des taux d’intérêt, puisque les hypothèques sont fixées sur 30 ans. Et la hausse de la productivité (qui fait malheureusement défaut au Canada) permet de stimuler la croissance, sans fouetter l’inflation.

Alors peut-on croiser les doigts pour que l’inflation rentre dans le rang sans que l’économie déraille ? Certains économistes font ce pari.

Mais à long terme, on pourrait avoir du mal à conserver l’inflation autour de la cible de 2 % à cause d’une série de facteurs structurels.

Le vieillissement de la population va maintenir le marché du travail sous pression, et donc les salaires et les services aussi. Pendant ce temps, la transition énergétique fera augmenter les coûts des biens. Tout comme la démondialisation qui se dessine depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie et qui pousse les pays occidentaux à rapatrier la production de produits névralgiques, des produits qui sont plus chers à produire à la maison.

Face à ces pressions inflationnistes, les banques centrales devront peut-être laisser les taux d’intérêt élevés plus longtemps.

Elles ne peuvent pas baisser les bras et laisser l’inflation s’incruster à 3 % au lieu de 2 %, par exemple. La différence peut sembler mince, mais elle provoquerait une perte de confiance de la part des différents acteurs financiers et une chute généralisée de la valeur des actifs. Un tel changement de cap équivaudrait à un aveu d’échec des banques centrales qui aurait de lourdes conséquences.

Au lieu de dire quoi faire à la Banque du Canada, les politiciens comme le premier ministre ontarien Doug Ford devraient se mêler de leurs affaires. Chacun son rôle.

S’ils veulent que les taux d’intérêt baissent, les gouvernements doivent cesser de mettre de l’huile sur le feu, comme ils l’ont fait ces dernières années. En multipliant les chèques à la population. En ajoutant des dépenses à leur budget. Ou en augmentant le nombre d’employés dans la fonction publique beaucoup plus vite que dans le secteur privé.

Alors que les mises à jour économiques sont attendues d’ici quelques semaines, la rigueur est de mise.

La position de La Presse

Les taux d’intérêt risquent de rester élevés longtemps, n’en déplaise aux politiciens qui font pression sur la Banque du Canada. Ils devraient plutôt se mêler de leurs affaires et éviter de jeter de l’huile sur le feu dans leur prochain énoncé budgétaire.