La grève de la fonction publique du Québec ressemble à un accident qu’on voit venir au ralenti, sans pouvoir le prévenir.

Après avoir obtenu des mandats de grève à 95 %, il était clair que les syndicats iraient jusqu’au bout pour prouver à leurs membres, chauffés à bloc, que la ligne dure est payante. Il était clair, aussi, que Québec ne brûlerait pas toutes ses munitions avant que les grévistes soient dans la rue.

Alors grève il y aura. Dès lundi. Ce seront les enfants, les parents, les patients qui en feront les frais. Comme si les services publics n’étaient pas déjà assez dysfonctionnels au Québec !

Personne n’a intérêt à ce que le conflit de travail s’éternise. Si on veut que ça se règle avant Noël, comme tout le monde le souhaite, commençons les vraies négociations, au lieu de tourner en rond aux tables sectorielles.

Les camps semblent à couteaux tirés, à en juger par la réaction expéditive des syndicats à l’offre présentée par Québec dimanche.

Le front commun syndical a qualifié cet effort d’insulte, oubliant que des négociations, ça se fait à deux. Quand une partie fait un pas en avant, si petit soit-il, l’autre doit faire son bout de chemin. Sinon, on n’arrive jamais à un terrain d’entente.

Des terrains d’entente, il y en a plus que la situation le laisse croire. Un exemple : le principe de la rémunération différenciée, cher au gouvernement, ne braque pas les syndicats autant qu’on aurait pu le craindre.

Tant mieux, car les primes sont essentielles pour venir à bout de l’exode du personnel dans des postes névralgiques, forçant ensuite le recours nocif aux agences de placement.

Si on veut pourvoir les quarts défavorables à l’hôpital, il faut y mettre le prix.

L’offre de Québec veut donc faire grimper le salaire d’une infirmière technicienne qui travaille de nuit de 92 000 $ en ce moment, à 109 000 $ à terme. Cette augmentation de 18 % est bien supérieure à celle offerte à une infirmière qui travaille de jour (+ 10 %).

Mais la rémunération différenciée est essentielle si on ne veut pas créer une perpétuelle pénurie de personnel dans les postes où la tâche est plus lourde. Le défi est de tracer la ligne entre ceux qui auront droit aux fameuses primes… et les autres.

Prenez les centres jeunesse. À l’heure actuelle, les intervenants y gagnent jusqu’à 7 % de plus que ceux qui travaillent dans d’autres milieux. Ce n’est pas suffisant pour les empêcher de migrer vers les CLSC ou les centres de réadaptation où ils n’ont pas à mettre leur vie personnelle en veilleuse pour répondre à des urgences.

Il faut donc faire plus. Mais étrangement, ce n’est pas dans l’offre de Québec.

Les syndicats disent que l’offre de Québec, qui prévoit une augmentation de 14,8 % sur cinq ans, n’est que de la poudre aux yeux. À environ 3 % par année, c’est équivalent à la hausse de 12 % sur quatre ans obtenue par les fonctionnaires fédéraux après la grève de l’hiver dernier.

Sauf que l’offre de Québec inclut le versement d’un montant forfaitaire de 1000 $ qui ne sera pas récurrent au fil des ans, alors que les fonctionnaires fédéraux avaient reçu 2500 $ en plus du 12 %.

Par ailleurs, l’offre de Québec inclut une enveloppe pour des « mesures » différenciées (l’équivalent de 3 %) qui ne servira pas seulement à verser des primes. En éducation, par exemple, l’argent sera employé pour embaucher des aides dans les classes. On n’est pas contre, mais cela ne peut pas être qualifié d’augmentation de salaire.

Si on enlève ces deux éléments, Québec propose des hausses de 10,3 % sur cinq ans pour les travailleurs qui ne sont pas visés par des primes. Combien de syndiqués auront 10,3 % ? Combien auront davantage ? On a besoin de plus de transparence là-dessus.

Entre-temps, une chose est claire. Ça reste en dessous de la hausse de 21 % sur trois ans réclamée par les syndicats, alors que le coût de la vie grimpe.

Mais il faut faire la part des choses quand les syndiqués disent qu’ils s’appauvrissent.

L’offre « de base » de Québec est inférieure au taux d’inflation prévu au cours des cinq prochaines années, évalué à 11,7 % dans le dernier budget.

Elle ne permet pas non plus un rattrapage pour les dernières années où l’inflation a été nettement plus élevée (3,8 % en 2021, 6,7 % en 2022) que les augmentations de salaire annuelles de 2 % qui avaient été négociées.

Mais au cours des dix années précédentes, les employés de Québec avaient amélioré leur sort. Leur rémunération globale, salaire et avantages sociaux compris, a augmenté de 10 % de plus que l’inflation pour s’établir à 80 792 $ en 2019-2020⁠1.

Reste que les employés de l’État ont droit à des augmentations justes et raisonnables qui prennent en compte la capacité de payer du contribuable.

Rappelons-le, cette capacité n’est pas illimitée… même si ce n’est pas l’impression que le gouvernement a donnée en accordant des augmentations de 30 % aux députés, en multipliant les chèques et les baisses d’impôt peu judicieuses et en déroulant les milliards pour la filière batterie.

La position de La Presse

Les employés de l’État ont droit à des augmentations justes et raisonnables qui tiennent en compte la capacité de payer du contribuable.

Consultez l’étude de l’Institut de la statistique du Québec