Il faut qu’on se parle d’Hydro-Québec. Calmement, s’il vous plaît. Comme société, nous avons besoin d’un vrai débat sur l’électricité, alors que la Coalition avenir Québec (CAQ) prépare des changements profonds.

Déjà, certains s’inquiètent de la « privatisation tranquille » de la société d’État. D’autres prétendent que le Québec va devenir un « Far West énergétique » ou bien lâchent : « Touche pas à notre Hydro-Québec. »

Oh là, un instant !

Personne ne parle de privatiser Hydro-Québec. Et c’est tant mieux, car ce serait une mauvaise idée financière de vendre ce fleuron pour lequel les Québécois ont un attachement quasi sentimental, comme la pièce de théâtre J’aime Hydro l’a si bien exprimé.

Non, il est plutôt question de permettre à des entreprises privées qui produisent de l’électricité (ce qui est actuellement permis, pour leurs propres besoins) de revendre cette électricité à une autre entreprise (ce qui est actuellement interdit). On casserait ainsi le monopole d’Hydro-Québec.

On aura l’heure juste lorsque le ministre de l’Énergie, Pierre Fitzbiggon, déposera son projet de loi d’ici quelques semaines. Mais le débat est mal engagé. La CAQ, qui n’avait pas abordé ces enjeux majeurs durant la campagne électorale, manque de transparence, ce qui est dommageable.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Le ministre québécois de l’Énergie, Pierre Fitzbiggon

Le Québec a besoin de véritables états généraux pour bâtir un nouveau pacte social sur l’énergie. On y reviendra plus loin.

Mais parlons d’abord du privé dans la vente d’électricité, une idée qu’il ne faut pas diaboliser. Pratiquement tous les biens essentiels – logement, vêtements, nourriture, etc. – sont vendus par le privé. Pourquoi pas l’électricité ?

À l’époque des grands barrages, il était justifié de confier à une société d’État ces mégaprojets nécessitant des moyens financiers gigantesques et des technologies complexes. Aujourd’hui, la technologie permet de développer des projets à plus petite échelle, à la portée du privé.

Bien sûr, le vent et le soleil restent des ressources publiques. Mais rien n’empêcherait Québec d’imposer une redevance aux fournisseurs privés, comme il le fait déjà pour d’autres ressources naturelles, par exemple l’eau ou les minéraux.

La libéralisation de l’électricité a déjà eu lieu dans de nombreux États américains et dans l’Europe tout entière, y compris les pays nordiques, ces social-démocraties dont on aime s’inspirer. Pourquoi pas chez nous ?

Surtout qu’Hydro-Québec est débordée. Dans la mesure où le monopole d’État n’est plus en mesure de répondre à la demande de tous les clients industriels, on voit mal pourquoi Québec empêcherait des fournisseurs privés d’électricité durable de le faire à sa place.

Encore faut-il que ça se fasse comme il faut, avec les balises et l’encadrement nécessaires. On ne voudrait pas que le privé cannibalise la main-d’œuvre dont Hydro a besoin pour son mégaplan d’action qui nécessitera 35 000 travailleurs. Dans un contexte de pénurie, il faut garder une vision d’ensemble et prioriser les meilleurs projets.

Mais si le privé peut servir de nouveaux clients prêts à payer des tarifs plus élevés, tant mieux. Cela évitera à Hydro de subventionner par la bande les nouveaux projets qui finissent par coûter cher aux Québécois… sans qu’ils s’en rendent compte.

Il faut comprendre que les coûts de développement actuels sont bien plus élevés que ceux du passé. Les nouveaux projets font donc grimper son coût moyen, une hausse qui doit ensuite être absorbée par tous les clients.

Mais à cause de la politisation nocive de l’énergie, la hausse des tarifs des clients particuliers est plafonnée à 3 %. Ce sont donc les clients commerciaux qui écopent, eux qui auront une hausse de 5,1 % à partir du 1er avril, si l’on se fie aux documents soumis à la Régie de l’énergie cette semaine.

À cause de cet interfinancement malsain, les ménages paient seulement 86 % du coût réel, tandis que les commerces assurent 134 % du coût. Des boutiques, des restos, des salons de coiffure… toutes sortes de PME qui finiront par refiler la facture à leurs clients.

Politiquement, le gouvernement se sauve la face. Mais les choix cruciaux d’amélioration énergétique chez les particuliers ne se font pas. Dommage, car l’énergie la moins chère est celle qu’on ne consomme pas.

Ce qui nous ramène à la grande conversation qu’on doit avoir au Québec.

Avec la transition énergétique, une discussion collective est essentielle pour sensibiliser la population aux choix cruciaux.

Veut-on réduire nos habitudes de consommation d’énergie ? Dans ce cas, il faudra faire plus que démarrer notre lave-vaisselle à minuit…

Veut-on produire davantage d’énergie pour satisfaire nos besoins croissants ? Alors, il faudra accepter des éoliennes et des lignes de transmission dans notre paysage…

Ce n’est pas en centralisant les décisions dans son bureau, comme il a l’habitude de le faire, que le « super » ministre Fitzgibbon gagnera l’acceptabilité sociale qui est indispensable à l’avancement des projets. On l’a vu cette semaine avec les contestations qui ont paralysé le projet de l’usine de batteries Northvolt, dans lequel Québec et Ottawa vont injecter plus de 7 milliards.

Hydro a annoncé cette semaine une consultation sur son plan d’action. Belle intention. Mais l’an dernier, à pareille date, la CAQ avait annoncé une consultation publique sur l’avenir énergétique du Québec. L’exercice, vite bouclé, s’est résumé à des discussions entre experts.

La CAQ est dirigée par des gens d’affaires qui passent vite à l’action, ce qui a ses bons côtés. Mais en court-circuitant un débat essentiel, elle risque de se brûler.

La position de La Presse

Nous ne sommes pas contre la vente d’électricité par le privé. Mais encore faut-il que cela se fasse comme il faut. Le Québec a besoin d’un débat public à la hauteur des enjeux majeurs que soulève la transition énergétique.