La décision de hausser les droits de scolarité des étudiants hors Québec a fait beaucoup de vagues dans les universités, l’automne dernier. Mais ce geste irréfléchi de la Coalition avenir Québec (CAQ) n’a pas fait monter le niveau d’eau dans la piscine. Il n’a pas amené davantage de fonds publics dans les coffres dégarnis des universités.

Si on voulait s’attaquer au sous-financement chronique des universités, « ce qu’on a fait ne va pas faire bouger l’aiguille beaucoup, honnêtement », estime le recteur de l’Université de Montréal, Daniel Jutras, que La Presse a reçu en entrevue éditoriale, mercredi.

Et si on voulait régler un problème linguistique, « je ne pense pas que ce soit la présence de ces étudiants-là qui transforme le visage francophone de Montréal », poursuit-il.

Le malheur, c’est que pour en arriver là, le gouvernement a tenu un discours clivant qui a envoyé un très mauvais signal sur la volonté d’accueil des étudiants hors Québec qui contribuent de manière significative à la vitalité des campus et de la ville.

« Je pense que ça a fait du tort à Montréal », n’hésite pas à dire Daniel Jutras, même si l’université qu’il dirige bénéficiera de la mesure.

En haussant les droits des étudiants hors Québec, plus nombreux dans les universités anglophones, Québec compte redistribuer environ 100 millions de dollars aux universités francophones. Mais comme les inscriptions de McGill et Concordia ont chuté d’environ un quart, la manne risque d’être moins généreuse.

Et de toute façon, il s’agit seulement d’un déplacement de fonds, pas d’argent frais qui manque cruellement aux universités.

Lors du printemps érable, les carrés rouges ont réussi à mettre un frein à l’augmentation des droits de scolarité annoncée par le gouvernement libéral. Ils ont gagné leur bataille. Mais les universités ont perdu au change.

En tenant compte de l’inflation, leur financement s’est réduit comme peau de chagrin. Les ressources de fonctionnement par étudiant ont diminué de 10 % au Québec, entre 2001 et 2018, alors qu’elles ont augmenté de 3 % au Canada anglais.

Résultat : les universités québécoises auraient besoin de 1,2 milliard de plus, pour rejoindre le niveau de financement des universités du reste du Canada, selon une étude réalisée par l’économiste Pierre Fortin en 2021.

Ce sous-financement a des conséquences très concrètes pour les étudiants et pour l’ensemble de la société.

Daniel Jutras cite l’exemple de la clinique de la faculté de médecine dentaire. Les équipements sont désuets. On a du mal à recruter des dentistes pour enseigner. Bref, on est au bord du point de rupture dans la formation des futurs dentistes. Ce sont les services essentiels à la population qui sont en péril.

Pour hausser leurs revenus, les universités, qui sont essentiellement financées par étudiant, sont tentées d’augmenter le nombre d’étudiants, en faisant appel à des chargés de cours, qui donnent la moitié de tous les cours dans certaines universités.

Cela permet d’économiser, car les chargés de cours sont payés autour de 10 000 $ par charge, alors qu’un professeur touche un salaire allant jusqu’à 159 000 $, auquel s’ajoutent des avantages sociaux. Mais certains étudiants se retrouvent avec seulement des chargés de cours, surtout au premier cycle. « C’est fondamental que nos grandes sommités rencontrent nos étudiants le plus vite possible », dit M. Jutras.

D’autres universités transforment les étudiants en vaches à lait, en inscrivant jusqu’à 700 étudiants dans des classes virtuelles.

Zéro interaction avec le professeur. Zéro interaction avec les autres étudiants. Zéro expérience de campus. Pour couronner le tout, on évalue les connaissances acquises avec un examen à choix de réponses qui offre l’avantage évident de se corriger en deux temps, trois mouvements.

C’est de l’éducation au rabais ! Après, comment s’étonner que les étudiants aient la motivation dans les talons ? Comment s’étonner du faible taux de diplomation à l’université ?

Malgré des droits de scolarité très bas, la proportion de titulaires d’un baccalauréat chez les Québécois de 25 à 34 ans (38 %) est plus basse que la moyenne des pays de l’OCDE (40 %) et beaucoup plus basse qu’en Ontario (44 %). Et l’écart avec nos voisins se creuse sans cesse.

Cela a un impact sur la prospérité du Québec, car les titulaires d’un baccalauréat gagnent ensuite un salaire plus élevé. Pour la CAQ qui veut rattraper le niveau de vie du voisin ontarien, investir dans les universités tombe donc sous le sens.

Le gouvernement fédéral a aussi son rôle à jouer pour mieux financer la recherche et développement (R-D) au Canada, qui a fondu de 1,86 % du PIB en 2000 à 1,55 % en 2022, alors que la tendance est à la hausse dans l’OCDE.

La recherche est le moteur de l’innovation. La diplomation est la clé de notre prospérité. Si l’on veut augmenter notre richesse collective, essentielle au financement de nos services publics, investir dans nos universités coule de source.