Les Petits Chanteurs du Mont-Royal sont en pleine période de recrutement. Encore aujourd’hui, cette institution de haut vol n’est ouverte qu’aux garçons dont la scolarisation au secondaire, au collège privé Notre-Dame d’en face, demeure assurée par des deniers publics (les cours de musique étant aux frais des parents).

Ce qu’il faut savoir

  • Fondée en 1956, la maîtrise des Petits Chanteurs du Mont-Royal n’accueille que des garçons et n’a pas son équivalent féminin à Montréal.
  • La scolarisation des enfants au secondaire au collège Notre-Dame, privé, est presque totalement assumée par des fonds publics en vertu d’une entente avec le ministère de l’Éducation.
  • De nombreux chœurs ailleurs admettent depuis longtemps des filles. La maîtrise dit réfléchir à la question.

La maîtrise, qui compte 210 garçons, est unique à Montréal, avec une éducation musicale extrêmement poussée et en continu, qui va de la troisième année du primaire à la cinquième secondaire, intégrée au cursus scolaire.

Pourquoi les filles ne sont-elles pas admises ?

Marie-Pierre Rolland, directrice des Petits Chanteurs du Mont-Royal, n’a pas esquivé la question.

« On y pense », mais la réflexion « en est encore à ses premiers balbutiements ».

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Marie-Pierre Rolland, directrice des Petits Chanteurs du Mont-Royal

Les Pères de Sainte-Croix ne sont pas fermés à l’idée, note-t-elle. Mais l’idéal, à son avis, serait, comme l’ont décidé d’autres maîtrises, d’avoir un chœur de garçons et un chœur de filles, séparés.

Petit coup de fil à l’Oratoire. Danielle Decelles, conseillère en communications de l’oratoire Saint-Joseph, répond que c’est à l’école des Petits Chanteurs que revient entièrement la décision.

Les Pères de Sainte-Croix n’y sont pas opposés ? « Pas du tout », répond-elle.

Comme Mme Rolland, elle souligne que cela obligerait cependant l’école, qui n’est pas énorme, à effectuer certains réaménagements.

Inscrits dans la tradition du chant choral dont les origines remontent à l’Europe d’il y a 1500 ans, les Petits Chanteurs du Mont-Royal sont une OBNL autonome qui récolte des dons tout en étant intrinsèquement liée au centre de services scolaire de Montréal (CSSDM), les enfants faisant leur scolarité primaire à l’école Notre-Dame-des-Neiges. Sur son site internet, le CSSDM le décrit comme « un projet éducatif unique ».

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Certains jeunes des Petits Chanteurs du Mont-Royal

En 2019, les Petits Chanteurs ont craint pour leur survie quand la Commission scolaire de Montréal, qui jugeait inéquitable que la scolarisation des enfants à une école privée soit subventionnée presque en totalité par des fonds publics, a mis fin à son entente de longue date avec la maîtrise.

Une entente entre les Petits Chanteurs et le ministère de l’Éducation a réglé la crise.

Entre autres dans la mesure où des fonds publics sont en cause, comment justifier que seuls des garçons aient accès à ce projet éducatif et à une formation musicale aussi avancée ?

Oui, « il faudrait que ce soit accessible aux filles », croit Mme Rolland, qui souligne au passage être elle-même mère d’une fille.

Reproduire sans diviser

Le chanteur et comédien Émile Proulx-Cloutier, qui est un ancien Petit Chanteur du Mont-Royal, parle du programme comme d’un joyau. Il rappelle que le répertoire choral est à quatre voix (soprano, alto, ténor, basse) et que, musicalement, la solution ne devrait pas être de réserver la moitié des places à des filles.

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Le chanteur et comédien Émile Proulx-Cloutier

Devant un modèle qui fonctionne, le mieux, c’est de le multiplier, de le reproduire.

Émile Proulx-Cloutier

Il insiste sur le fait qu’il est précieux que les garçons aient accès à autre chose qu’à des programmes sportifs et qu’ils soient exposés aux valeurs et à la culture transmises par les Petits Chanteurs.

Au fil de la conversation, il se met à rêver que le Conservatoire de Montréal, les orchestres de Montréal et l’Opéra de Montréal se regroupent et lancent une telle maîtrise pour les filles, aussi intégrée au parcours scolaire régulier.

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Andrew Gray, directeur musical et artistique des Petits Chanteurs du Mont-Royal, s’adressant à des jeunes du chœur

Il ne serait pas nécessaire que ce soit dans les environs de l’Oratoire, ni que la tâche incombe aux Petits Chanteurs qui, rappelle-t-il, sont une toute petite organisation qui a déjà beaucoup à faire.

« Pourquoi ne pas reproduire un programme semblable dans l’est de Montréal, avec d’autres partenaires ? », lance-t-il comme idée.

Peu de chœurs de garçons

Questions délicates que celles-là ! lance d’abord Marc Henric, directeur musical, artistique et pédagogique des Petits Chanteurs de Trois-Rivières, qui accepte néanmoins volontiers de les aborder avec nous.

Mixte depuis plus de 20 ans, cette maîtrise est cette année composée pour les deux tiers de filles, explique-t-il.

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La maîtrise des Petits Chanteurs du Mont-Royal a été fondée en 1956.

Les garçons n’en ont pas été exclus : l’école ne compte que 35 à 40 enfants cette année, « alors qu’on pourrait en accueillir le double ».

Arrivé de France en 2022, M. Henric souligne que la tradition des chœurs de garçons remonte à 1500 ans en Europe. Il est néanmoins tout à fait à l’aise avec le fait que la maîtrise qu’il dirige soit mixte.

D’autant plus qu’en France, souligne-t-il, « il n’existe plus que trois chœurs de garçons » à sa connaissance.

De façon générale, l’argument musicologique en faveur de chœurs pour garçons seulement tient à la volonté de faire entendre des œuvres chantées « par des enfants pour lesquels elles ont été écrites ».

Il évoque ici les œuvres de Jean-Sébastien Bach, par exemple, d’abord interprétées par des garçons. Il ajoute dans un même souffle qu’à l’inverse, dans la Venise du XVIIIe siècle de Vivaldi, il n’y avait que des chœurs de filles.

Il est donc possible, dans un chœur mixte, de jouer avec le répertoire pour que chaque œuvre soit servie à son mieux, en privilégiant tantôt des pièces interprétées traditionnellement par des garçons, tantôt des œuvres particulièrement bien mises en valeur par des filles.

Différences majeures

Au fil de leur développement, les voix des filles et des garçons ne sont pas équivalentes. À un très jeune âge, vers 7 ans, il y a peu de différences. Mais ensuite, M. Henric note que les différences sont majeures.

Entre 11 et 14 ans, il y a quelque chose de magique dans cette voix [de garçon] qui disparaîtra bientôt.

Marc Henric, directeur musical, artistique et pédagogique des Petits Chanteurs de Trois-Rivières

Puis arrive la mue, qui oblige parfois les garçons à être placés sur les lignes de côté, alors que « la voix des filles entre 13 et 18 ans devient extraordinaire ».

Chose certaine, selon M. Henric, « il est impératif que les femmes aient accès au chant. Le maintien d’une tradition ne peut pas se faire à leur détriment ».

Au centre de services scolaire de Montréal, le porte-parole Alain Perron évoque l’autonomie de l’organisme et que c’est à lui d’en décider.

Le ministère de l’Éducation ne nous est pas revenu.