Le chauffeur de taxi hoche la tête tandis que la voix de l'animateur de Radio X résonne dans la voiture. «Sont à Ottawa depuis tellement longtemps qu'ils sont bien encrassés. Ils sont bien collés, comme une belle gomme que tu t'es assis dessus 40 fois. Elle est bien étendue. Il fait chaud, ça pue.»

Mais de quoi diable est-il question? Le chauffeur a l'air surpris de la question: «Mais du Bloc, voyons!»

Les coups de gueule de la sorte se sont multipliés dans les derniers jours à Québec. Les radios d'opinion de la Vieille Capitale - les radios poubelle, comme les appellent leurs détracteurs - se passionnent pour la campagne. Les enjeux sont de taille dans la région où la lutte est chaude entre le Parti conservateur et la formation de Gilles Duceppe.

Une seule cible, le Bloc

Mais ces attaques ne sont pas distribuées également. Elles semblent même n'avoir qu'une seule cible, le Bloc québécois. Au cours des dernières semaines, sur les ondes de ces stations, le parti a été qualifié de «vraie farce» et sa campagne d'«hystérique». Le parti souverainiste proposerait «un programme arriéré des années 70» et ferait partie de la «gauche radicale».

Dans un registre plus personnel, selon un animateur de Radio X, la candidate du Bloc dans Lévis ressemble physiquement à une transgenre; les élus bloquistes «vont finir par faire des cancers à force de chialer»; et Gilles Duceppe a maintenant un surnom consacré: «Gros-Yeux».

À l'opposé, on a pu entendre cette semaine des animateurs défendre tour à tour le candidat conservateur Larry Smith - «qui dit ce que tout le monde pense» - et l'indépendant André Arthur.

La question se pose: la radio d'opinion de la région de Québec est-elle partie en guerre contre le Bloc québécois? «En guerre, non, je ne dirais pas ça», répond Thierry Giasson, professeur au département d'information et de communication de l'Université Laval et chercheur principal du Groupe de recherche en communication politique.

«Mais c'est évident que les animateurs tiennent un discours ultracritique envers le Bloc et sont plus complaisants envers les conservateurs, note-t-il. Leur discours est antiétatique, anti-interventionniste, anti-syndicat et anti-gauche. Dans cette optique, c'est certain qu'ils ont peu d'affinités pour le Bloc...»

Thierry Giasson connaît bien la radio d'opinion de Québec. Aux élections municipales de 2007, il a scruté la couverture médiatique des stations Radio X et FM93. «On voulait savoir si leurs entrevues respectaient les principes de base du journalisme», dit-il.

Les deux principaux candidats étaient Régis Labeaume et Ann Bourget. «Les animateurs présentaient Mme Bourget comme une candidate du Vieux-Québec, de la ville, avec tous les stigmates qui y sont associés: elle était en faveur du transport en commun, pro-vélo, etc. Par opposition, ils présentaient Labeaume comme le candidat des automobilistes, celui du gros bon sens.»

«Nos conclusions, c'est qu'il y avait eu complaisance envers M. Labeaume et surcritique envers Mme Bourget. Les radios étaient très campées.»

L'effet radio?

Les radios d'opinion sont populaires à Québec. Selon le sondage BBM mené à l'automne dernier, Radio X est au troisième rang des stations les plus écoutées alors que le FM93 arrive au cinquième rang. Il y a aussi RadioPirate, station satellite de Jean-François Fillion, qui s'adresse à un auditoire plus restreint, mais fidèle.

Cette popularité pourrait-elle influencer la campagne? Pourrait-elle faire la différence dans des circonscriptions où la lutte est serrée? «Je ne sais pas, mais c'est certain que lors des élections municipales de 2007, ces stations ont été très, très influentes, dit Thierry Giasson. Elles sont très écoutées.»

Un animateur de Radio X, Dominic Maurais, a d'ailleurs prétendu récemment que Régis Labeaume était «une création des radios de Québec».

Selon Thierry Giasson, ces radios demeurent un atout dans la manche des conservateurs. «Ce sont des alliées énormes pour Josée Verner et les autres conservateurs de la région. Pour André Arthur aussi.»

Mais le candidat du Bloc québécois dans Beauport-Limoilou ne s'inquiète pas outre mesure. Dans le cadre de sa campagne pour ravir le siège de la conservatrice Sylvie Boucher, Michel Létourneau espère bien être invité dans les radios d'opinion.

«Je ne crois pas qu'il y ait un préjugé anti-Bloc autant qu'une ligne claire contre l'intervention de l'État. Alors, c'est certain que dans cette optique, le Bloc, les libéraux et le NPD sont plus brassés. Bon, ça adonne que le Bloc est le plus populaire de ces partis dans la région. Donc on subit plus la critique.»

«Mais en même temps, dit-il avec un soupir de soulagement, ce n'est pas Howard Stern. On peut discuter...»

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Notre journaliste Gabriel Béland traverse le pays en train. D'Halifax à Vancouver, il s'arrête là où les caravanes électorales s'attardent peu. Aujourd'hui, il est à Québec.