Des groupes pressent le gouvernement d'user de ses pouvoirs face aux entreprises qui contreviennent à la loi

Des entreprises qui ne respectent pas les lois environnementales continuent de voir leurs projets étudiés et approuvés par Québec. Le ministre de l’Environnement Benoit Charette a pourtant fait adopter il y a deux ans de nouvelles dispositions législatives lui permettant de refuser une demande d’autorisation déposée par un promoteur « délinquant ».

Au cours des dernières années, des entreprises comme Rio Tinto, ArcelorMittal et plusieurs autres ont accumulé les infractions au droit de l’environnement, mais ont tout de même pu obtenir des dizaines d’autorisations du ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (MELCCFP) pour divers projets.

Une situation qui préoccupe la Société pour la nature et les parcs au Québec (SNAP) et le Centre québécois du droit de l’environnement (CQDE). Ces deux groupes s’inquiètent particulièrement de voir le Ministère accorder un permis à une entreprise qui a drainé des milieux humides dans l’habitat essentiel de la rainette faux-grillon, une espèce menacée au Québec et au Canada.

Le Ministère étudie actuellement une demande d’autorisation déposée en septembre 2020 par l’entreprise 9370-2413 Québec inc. pour une « intervention en milieux humides ainsi que l’extension des systèmes d’aqueduc, de gestion des eaux pluviales et d’égout sanitaire dans le cadre du projet Pine Beach », à Hudson, en Montérégie.

Cette entreprise appartient au Groupe Shathony et à l’homme d’affaires Gaétan Houle, tous deux propriétaires d’une autre société (9413-1547 Québec inc.) qui a drainé des milieux humides à Longueuil il y a deux ans.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Alain Branchaud, directeur général de la SNAP Québec

Selon Alain Branchaud, directeur général de la SNAP Québec, le ministère de l’Environnement devrait punir plus sévèrement les promoteurs qui détruisent des milieux naturels. Il croit que le Ministère pourrait s’inspirer de la Loi sur les contrats des organismes publics. Celle-ci prévoit que les entreprises reconnues coupables de certaines infractions ne sont plus admissibles à des contrats publics pour une période de cinq ans.

« Afin de redonner confiance envers le processus d’émission des certificats d’autorisation, Québec devrait examiner la possibilité de rendre temporairement inadmissible à toute nouvelle demande un promoteur qui a commis une infraction ayant mené à la destruction d’un milieu naturel, avance M. Branchaud. Ce geste fort enverrait le signal que la récréation est terminée et que nos lois environnementales doivent être respectées. »

Une amende et une enquête pénale

En novembre 2020, l’entreprise 9413-1547 Québec inc. a fait creuser plusieurs fossés de drainage pour assécher des milieux humides situés à proximité du boisé Du Tremblay, à Longueuil. Le secteur est officiellement reconnu pour abriter un habitat essentiel à la rainette faux-grillon, une espèce menacée. Ottawa a d’ailleurs adopté un décret d’urgence pour protéger l’espèce à Longueuil un an plus tard.

En 2021, l’entreprise a reçu un avis de non-conformité du Ministère pour avoir effectué des travaux de drainage en milieu humide sans autorisation, en plus d’écoper d’une amende de 10 000 $ pour avoir rejeté un contaminant dans un cours d’eau.

Une enquête pénale a aussi été déclenchée en janvier 2021. Le Ministère a indiqué à La Presse que l’enquête « est toujours en cours » deux ans plus tard. « Les enquêtes dans un dossier comme celui en cause peuvent nécessiter des délais de plusieurs mois afin de compiler la preuve technique et scientifique », précise le Ministère.

De son côté, Groupe Shathony n’a pas voulu commenter l’enquête en cours. « Considérant que le dossier est judiciarisé, nous préférons ne pas répondre à vos autres questions à ce stade », a indiqué son représentant, Sasha Côté, dans un courriel transmis à La Presse. Gaétan Houle n’a pas répondu aux questions de La Presse.

Sur son site web, Groupe Shathony précise que son projet résidentiel à Hudson devait commencer en 2021. L’entreprise indique également sur son site qu’elle prévoit toujours un projet immobilier à Longueuil en 2022-2023 dans le secteur visé par un décret d’urgence d’Ottawa qui interdit tout lotissement.

Ce dossier préoccupe le CQDE, signale son avocat Marc Bishai.

Il serait important de ne pas autoriser certaines activités dans certaines circonstances, particulièrement lorsqu’il y a une appréhension raisonnable que le cadre juridique ne soit pas respecté, notamment dans des cas où des demandeurs d’autorisation sont, ou ont déjà été, en situation de non-conformité. C’est d’autant plus vrai en présence de récidivisme.

Marc Bishai, avocat du Centre québécois du droit de l’environnement

Signalons que le ministre de l’Environnement dispose de nouveaux pouvoirs depuis l’adoption en 2021 de la loi 102, qui lui permet entre autres de refuser une demande d’autorisation déposée par un « promoteur délinquant ». Au moment du dépôt de son projet de loi, le ministre Benoit Charette avait signifié sa frustration de voir des « délinquants » capables d’obtenir de nouvelles autorisations de son ministère.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Benoit Charette, ministre de l’Environnement du Québec

La Presse a demandé au cabinet du ministre Benoit Charette si ces nouvelles dispositions législatives avaient été invoquées depuis leur entrée en vigueur. Nous n’avons reçu aucune réponse.

Des entreprises accumulent les infractions

Au cours des 15 derniers mois, Rio Tinto a reçu neuf sanctions administratives pécuniaires totalisant plus de 53 000 $ pour des infractions environnementales. Pendant la même période, ArcelorMittal a reçu sept sanctions pour un total de 35 000 $. Ces deux entreprises ont multiplié les infractions environnementales depuis plus de 10 ans. La filière canadienne d’ArcelorMittal a aussi écopé d’une amende de 14,5 millions en 2022 pour des manquements aux lois environnementales canadiennes.

« La protection de l’environnement et le développement durable sont des valeurs fondamentales au sein de notre organisation et nous investissons aussi de façon importante pour protéger l’environnement depuis quelques années déjà. Nous continuerons à le faire », déclare la directrice des communications d’ArcelorMittal, Annie Paré.

« Nous travaillons en collaboration étroite avec nos partenaires et nos employés, qui sont extrêmement conscientisés et font des efforts au quotidien pour protéger l’environnement. […] Lorsqu’un incident survient, Rio Tinto prend la situation très au sérieux, met en place un plan d’action rigoureux et implante des mesures pour corriger la situation », indique Simon Letendre, directeur des relations avec les médias pour le Canada et les États-Unis.

Depuis 10 ans, ArcelorMittal et Rio Tinto ont néanmoins obtenu des dizaines d’autorisations du ministère québécois de l’Environnement pour des projets qui devaient se conformer aux lois environnementales de la province.

L’avocat Marc Bishai croit que Québec pourrait « renforcer le cadre juridique environnemental de manière à rendre les sanctions davantage dissuasives, par exemple en fixant des amendes calculées en fonction des revenus de l’entreprise ». Il donne en exemple la loi fédérale sur la concurrence qui prévoit qu’une sanction peut être fixée à 3 % des revenus bruts d’une entreprise.