La deuxième fois sera-t-elle la bonne ? Québec veut annuler une autorisation délivrée à un promoteur pour remblayer des milieux humides situés dans un écosystème rare. Après avoir perdu sa cause en Cour d’appel, le ministère de l’Environnement emprunte cette fois-ci une autre voie juridique suggérée par le tribunal.

La Presse a appris que le ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (MELCCFP) avait avisé le promoteur Nicanco Holdings que son autorisation pour remblayer « 1,58 hectare de marais et de marécage afin de réaliser le projet résidentiel Sandy Beach à Hudson » serait révoquée.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

Dans une lettre transmise à l’organisme Nature Hudson et obtenue par La Presse, le Ministère indique qu’il a fait parvenir au promoteur, le 27 juin dernier, « un préavis de révocation de l’autorisation, datée du 22 juin 2023, en vertu de l’article 36 al. 1(3) de la Loi sur certaines mesures permettant d’appliquer les lois en matière d’environnement et de sécurité des barrages ».

Le Ministère avait tenté une première fois d’annuler cette autorisation en 2021, en invoquant le fait que le promoteur n’avait pas commencé les travaux dans un délai de deux ans après l’entrée en vigueur, en mars 2018, de l’article 46.0.9 de la Loi sur la qualité de l’environnement.

Cette nouvelle disposition précise que « le titulaire d’une autorisation […] doit [commencer] l’activité concernée dans les deux ans de la délivrance de cette autorisation ou, le cas échéant, dans un autre délai prévu à l’autorisation. À défaut, l’autorisation est annulée de plein droit ».

Des promoteurs gagnent la première manche

Au moins trois promoteurs, dont Nicanco Holdings, ont contesté leur avis d’annulation devant la Cour supérieure du Québec. Dans une décision rendue en septembre dernier, le tribunal a conclu que l’article 46.0.9 n’avait pas d’effet rétroactif et ne s’appliquait donc pas aux autorisations remises avant le 17 avril 2017.

Québec a porté l’affaire en appel et a essuyé un nouveau revers, le 7 juin dernier. Mais dans sa décision, la Cour d’appel a suggéré une autre voie juridique pour permettre au Ministère d’annuler ces autorisations pour remblayer des milieux humides.

Le tribunal a précisé que « l’article 36 de la Loi sur certaines mesures permettant d’appliquer les lois en matière d’environnement et de sécurité des barrages, sanctionnée le 22 avril 2022, permet en effet au ministre, notamment, d’annuler ou de modifier une autorisation dont l’activité n’a pas commencé dans les deux ans de sa délivrance ».

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Le secteur Sandy Beach est situé près du parc Jack-Layton, à Hudson.

Le Ministère a visiblement pris bonne note de la suggestion, puisque moins de trois semaines plus tard, un nouvel avis de révocation a été transmis à Nicanco Holdings. « Aucune autre autorisation ministérielle n’a fait l’objet d’un [tel] avis de révocation », a confirmé le Ministère à La Presse, le 20 juillet dernier.

Des informations incomplètes ?

Ce nouvel avis de révocation réjouit le Centre québécois du droit de l’environnement (CQDE), qui représente Nature Hudson et le Fonds d’héritage pour l’environnement dans le dossier Sandy Beach. Les deux organisations affirment que le ministère de l’Environnement a délivré une autorisation à Nicanco Holdings, en 2014, sur la base d’informations incomplètes.

Selon les conclusions de la firme AECOM Tecsult, retenue par le promoteur, « aucune espèce floristique ou faunique désignée menacée ou vulnérable n’a été répertoriée sur le site du projet ». Un autre rapport soumis en 2010 a conclu également qu’il n’y avait « aucun peuplement forestier d’intérêt sur le site du projet ».

Or, selon un rapport d’expertise produit par TerraHumana, une firme de biologistes mandatée en 2021 par Nature Hudson, le secteur pourrait se qualifier comme écosystème forestier exceptionnel (EFE), un statut attribué par Québec aux forêts rares ou encore à celles qui abritent des espèces menacées ou vulnérables.

Le 20 février, le CQDE a d’ailleurs demandé au ministre de l’Environnement, Benoit Charette, d’annuler l’autorisation accordée à Nicanco Holdings alléguant que le demandeur « a fourni des renseignements inexacts ou omis de déclarer un fait important ».

« Nature Hudson et le Fonds d’héritage pour l’environnement avaient espoir que le ministre [Benoit Charette] analyserait le projet de nouveau, avant le début des travaux, en prenant les mesures nécessaires pour obtenir toute l’information pertinente à jour. C’est en quelque sorte ce qu’il a fait, indirectement », a souligné l’avocat Marc Bishai, du CQDE, à La Presse.

Me Bishai ajoute que si cette décision du ministre (la révocation) devient finale, le promoteur devra demander une nouvelle autorisation.

[La révocation] impliquerait nécessairement une nouvelle analyse du projet, sur la base des connaissances à jour.

Me Marc Bishai, du Centre québécois du droit de l’environnement

La Presse a tenté, en vain, de joindre des représentants de Nicanco Holdings. Son propriétaire, Hans-Karl Muhlegg, est mort en juillet 2022. Les avocats de Nicanco n’ont pas donné suite à un courriel de La Presse, tout comme Mercedes et Karleen Muhlegg, identifiées comme « administrateur du bien d’autrui » au registre des entreprises du Québec. Le ministère de l’Environnement a cependant confirmé, vendredi, que Nicanco Holdings était toujours le détenteur de l’autorisation en litige.

L’histoire jusqu’ici

Un projet de lotissement immobilier dans le secteur Sandy Beach, à Hudson, soulève la controverse depuis des années.

Québec a tenté en 2021 d’annuler l’autorisation délivrée en 2014 au promoteur Nicanco Holdings pour remblayer des milieux humides.

La décision de Québec a été déclarée illégale par la Cour d’appel en juin dernier.