(Montréal) Des grands requins blancs autour des Îles-de-la-Madeleine jusqu’aux homards conquérant de nouveaux territoires, les océanographes affirment que le réchauffement du golfe du Saint-Laurent a un impact sur les créatures qui vivent dans son écosystème unique.

Les données de Pêches et Océans Canada montrent que les températures des eaux profondes augmentent globalement dans le golfe depuis 2009. En 2022, les températures moyennes à l’échelle du golfe ont atteint de nouveaux records à des profondeurs de 150 à 300 mètres et ont dépassé le seuil de 7 °C à 300 mètres pour la première fois. Les températures mensuelles moyennes à la surface de la mer ont également établi de nouveaux records en août et septembre, selon les données.

La situation inquiète les océanographes, qui disent déjà constater l’impact du réchauffement des eaux sur différentes espèces dans le golfe, qui touche cinq provinces à l’embouchure du fleuve Saint-Laurent.

Philippe Archambault, professeur d’océanographie à l’Université Laval, affirme que les changements dans les écosystèmes font partie de la nature, mais que la vitesse à laquelle ils surviennent est frappante.

M. Archambault souligne en entrevue que l’écosystème n’a pas le temps de s’adapter, de se repositionner dans un nouvel équilibre. Il fait valoir que si les humains peuvent s’adapter à leur environnement en construisant ou en modifiant une maison, les animaux ne peuvent généralement que se déplacer à la recherche d’environnements où ils peuvent s’épanouir.

Selon lui, il y a des signes que certains de ces changements se produisent déjà, indiquant une augmentation des observations de grands requins blancs dans certaines parties du golfe, et de homards s’étendant de leur aire de répartition traditionnelle autour de l’île d’Anticosti et de la péninsule gaspésienne vers de nouveaux endroits qui pourraient avoir été trop froid une décennie plus tôt.

Des gagnants et des perdants

Stéphane Plourde, chercheur scientifique à Pêches et Océans Canada, affirme qu’il y a à la fois des gagnants et des perdants en matière de réchauffement des températures.

Il dit qu’en général, les espèces d’eau froide comme la crevette nordique sont en difficulté, alors qu’il y a des signes d’une présence accrue d’espèces qui préfèrent les eaux plus chaudes.

Il y a des indications qui montrent qu’en effet, le réchauffement peut favoriser la présence de prédateurs comme le thon rouge ou le requin blanc dans le golfe du Saint-Laurent, indique-t-il, ajoutant que les présences accrues pourraient également être dues à des effectifs plus importants dans l’ensemble.

Il estime qu’il est encore trop tôt pour savoir quel impact les changements de température pourraient avoir sur les grands mammifères, tels que les baleines. Il dit que parce que les mammifères sont moins directement affectés par la température, l’impact immédiat est plus susceptible d’être comportemental, comme le changement des zones d’alimentation en réponse aux mouvements des proies. Ce phénomène a récemment été observé chez les baleines noires de l’Atlantique Nord, une espèce en voie de disparition, qui semblent venir de plus en plus dans le golfe du Saint-Laurent pour chercher de la nourriture.

Il soutient qu’il faudrait un certain temps avant d’observer avec clarté les effets cumulatifs des changements subis par les baleines — qui sont difficiles à étudier, car elles bougent tellement.

M. Plourde affirme que les espèces qui semblent être les plus touchées sont de minuscules organismes, comme le krill et le plancton, qui sont tout aussi importants, car ils forment la base de la chaîne alimentaire. Les scientifiques notent déjà des changements graduels dans la présence de différentes espèces et le moment des pics de population, ce qui, selon M. Plourde, pourrait éventuellement avoir un effet en cascade sur toutes les espèces qui en dépendent.

Un mélange unique de courants

Mathilde Jutras, candidate au doctorat en océanographie à l’Université McGill qui étudie les changements de température, soutient que le réchauffement dans le golfe du Saint-Laurent a été plus dramatique que dans certaines zones océaniques ouvertes, en partie à cause de son mélange unique de courants.

Elle dit qu’au cours des dernières années, il y a eu une augmentation de la quantité d’eau provenant du courant du Gulf Stream qui se réchauffe et une diminution provenant du courant plus froid du Labrador.

« Parce qu’il est situé à l’intersection du Gulf Stream et du courant du Labrador, il est très sensible à ce qui se passe dans ces courants, affirme-t-elle. C’est un peu comme le canari dans la mine de charbon des changements que nous constatons dans l’océan Atlantique Nord. »

Parallèlement, elle affirme qu’il y a eu une augmentation des zones d’eau profonde à faible teneur en oxygène, ce qui complique l’épanouissement des espèces.

En surface, dit-elle, il y a eu moins de glace de mer, ce qui pourrait signifier plus de mélange des différentes couches d’eau du golfe pendant les tempêtes.

Tous les trois disent que des études supplémentaires sont nécessaires pour savoir comment la confluence de différents changements affectera finalement la vie dans le golfe.

M. Archambault dit qu’il y a un risque que l’écosystème atteigne un point de « basculement » provoqué par la combinaison de différents facteurs de stress, notamment le réchauffement des températures, l’acidification, l’augmentation du trafic maritime et les tempêtes hivernales.

Ces facteurs de stress semblent tous augmenter, et les scientifiques tentent de comprendre leur interaction, souligne-t-il.