Près de trois décennies après l’avoir exigée, Québec vient d’autoriser la restauration de la rive du fleuve Saint-Laurent aux abords de l’ancienne usine d’Elkem Métal Canada à Beauharnois, lourdement contaminée aux métaux lourds, un projet qui avait pourtant été jugé nettement insuffisant par le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE), en 2010.

Le gouvernement Legault a adopté en novembre le décret approuvant le plan de restauration de l’entreprise, qui prévoit laisser sur place la majeure partie des sols contaminés, sur le site où elle a produit jusqu’en 1991 du ferromanganèse, un alliage de fer et de manganèse utilisé dans la production d’acier.

Cette restauration avait été exigée… en 1995, par le gouvernement de Jacques Parizeau, quand Elkem Métal Canada, filiale de la multinationale Elkem, s’était départie de sa propriété.

Pendant des années, les propriétaires de l’usine avaient utilisé des résidus de fusion massifs (scories) pour niveler et solidifier le fond du terrain, y compris des segments de la rive en bordure du lac Saint-Louis, qui constitue l’élargissement du fleuve à cet endroit, explique le rapport d’analyse environnementale du projet de restauration, produit par le gouvernement.

Ces résidus de fusion massifs sont contaminés principalement par le manganèse, un contaminant neurotoxique aux effets semblables à ceux du plomb, ainsi que par d’autres métaux lourds et des hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP).

Contaminants enfouis sur place

Le plan de restauration d’Elkem, que le décret du gouvernement Legault qualifie d’« acceptable sur le plan environnemental, à certaines conditions », prévoit retirer quelque 7300 mètres cubes (m⁠3) de remblais contaminés et « confiner » le reste sur place en le recouvrant de « sol propre ».

Le BAPE, qui s’était penché sur le projet en 2010, avait rejeté cette option et conclu « à la nécessité d’enlever tous les remblais et blocs de scories de la berge », qu’il évaluait à environ 21 400 m⁠3.

« Le gouvernement du Québec fait fi du rapport du BAPE », s’offusque Daniel Green, spécialiste de la toxicologie de l’environnement et coprésident de la Société pour vaincre la pollution, qui déplore « une décontamination au rabais ».

Certaines conclusions de l’évaluation gouvernementale du projet sont « clairement dirigées par l’entreprise », affirme-t-il, déplorant que « Québec se fie à ce que l’entreprise lui dit, [tandis que] le BAPE était allé chercher d’autres études ».

Québec affirme par exemple que le risque que des contaminants ruissellent à l’extérieur du site et dans le fleuve est faible, sur la base de tests de lixiviation faits en laboratoire, mais le BAPE soulignait qu’il demeurait des « ambiguïtés et incertitudes » à ce sujet.

On voit que ce gouvernement préfère prendre le côté du pollueur [plutôt que] des pollués et c’est dommage.

Daniel Green, spécialiste de la toxicologie de l’environnement et coprésident de la Société pour vaincre la pollution

Le BAPE prônait en outre que la décontamination de la berge s’accompagne de celle du reste du terrain, pour éviter la recontamination de l’une par l’autre, indique Daniel Green, rappelant que la Ville de Beauharnois et des citoyens avaient exprimé la même volonté lors des audiences du BAPE.

Le plan de restauration d’Elkem concerne uniquement la rive, sur une largeur d’environ 10 mètres et une longueur de 815 mètres ; la décontamination du reste du terrain, qui contient environ 115 000 m⁠3 de remblais contaminés, doit être effectuée par son propriétaire actuel, l’entreprise Excavation René St -Pierre.

« La seule personne qui n’écoute pas les gens et qui écoute Elkem, c’est le ministre de l’Environnement », lance M. Green.

La Ville de Beauharnois se dit aussi déçue du plan de restauration proposé par Elkem et accepté par Québec.

« J’aurais préféré qu’ils suivent les recommandations du BAPE, mais ce n’est pas ça qui est arrivé », a confié à La Presse le maire Alain Dubuc.

Son administration ignore en outre quand et comment le Groupe St-Pierre restaurera le reste du terrain.

Le ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs a refusé d’accorder une entrevue à La Presse.

Un projet amélioré, dit Elkem

Le projet de restauration autorisé par Québec est « complètement différent » de celui rejeté par le BAPE, a affirmé à La Presse le président d’Elkem Métal Canada, Jean Villeneuve.

« On enlève les scories. On en enlève beaucoup [et] on fait ça selon les normes du Ministère », a assuré M. Villeneuve, sans pouvoir expliquer davantage ce qui distingue les deux projets.

Le décret du gouvernement Legault autorisant le projet exige que les travaux soient exécutés avant la fin de l’année 2033.

« J’espère que ça ne nous prendra pas 10 ans, ça fait assez longtemps que ça traîne, s’exclame Jean Villeneuve. Maintenant qu’on a l’approbation, on va aller de l’avant. »

La firme AtkinsRéalis (ex-SNC-Lavalin), qui a été mandatée par Elkem, s’affaire déjà à préparer les travaux, qui devraient commencer en 2025, a indiqué M. Villeneuve, qui évalue leur coût à « plusieurs millions » de dollars.

Nouvelle défaite au tribunal pour Elkem

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Terrains contaminés de l’ancienne usine Elkem à Beauharnois – ce terrain jouxte celui boisé de la famille Bellemare.

Elkem Métal Canada a essuyé un nouveau revers judiciaire en perdant son appel du jugement de la Cour supérieure du Québec qui l’avait condamnée en 20221 à réhabiliter les sols de la propriété voisine de son ancienne usine de Beauharnois et à verser près de 200 000 $ en dommages-intérêts à ses propriétaires.

Cette propriété, appelée la Pointe Saint-Louis, est un vaste domaine de 18 hectares acquis en 1866 par le sénateur Charles-Séraphin Rodier et qui appartient encore aujourd’hui à ses descendants, la famille Hone-Bellemare.

Elkem dispose de 60 jours pour demander à la Cour suprême la permission d’en appeler du nouveau jugement rendu le 12 janvier par la Cour d’appel du Québec, mais elle ne le fera pas, a affirmé à La Presse son président, Jean Villeneuve.

« On va se conformer au jugement », a-t-il assuré, ajoutant que la préparation des travaux de restauration de la propriété commencerait dès cette année.

Satisfaite de ce dénouement, la famille espère maintenant « la pleine coopération et assistance du ministère de l’Environnement », rappelant que ce dernier avait exigé dans les années 1990 qu’Elkem décontamine sa propriété, a expliqué à La Presse Dominique Bellemare.

Son frère François Bellemare déplore que le gouvernement québécois n’ait pas forcé l’entreprise à se conformer à ses exigences : « Comment ça se fait que c’est le simple citoyen qui doit faire ces démarches pendant 12, 13 ans, et engager de grosses sommes dans les six chiffres ? »

1. Lisez « Sols contaminés à Beauharnois : la multinationale Elkem condamnée à dépolluer un vaste domaine »