Quand le téléphone sonne à l’unité de triage du Centre national de coordination contre l’exploitation des enfants (CNCEE) de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), l’équipe sait qu’il s’agit d’une urgence.

C’est par les bureaux du CNCEE, au quartier général de la GRC à Ottawa, qu’entrent chaque année des dizaines de milliers de signalements d’infractions d’exploitation sexuelle d’enfants sur l’internet commises par des Canadiens. La plupart du temps, l’information, qui provient de partout dans le monde, arrive électroniquement. Mais l’unité de triage a un cellulaire d’urgence ouvert 24 heures sur 24, justement pour des cas comme celui-ci.

Nous voici le 21 janvier. Cinq jours se sont écoulés depuis le premier contact entre le suspect et le lieutenant-détective Michael Sewall.

Le dossier que transmettent les Américains fait état d’un potentiel citoyen canadien qui abuserait de sa fille. Au moins une des photos qu’il a partagées correspond à de la pornographie juvénile selon le Code criminel canadien, confirme la police.

Comme pour leur collègue au Wisconsin, la priorité des enquêteurs de la GRC est de localiser le suspect pour sauver l’enfant. Rapidement, tous les indices pointent vers le Québec.

Le dossier est immédiatement transmis à la Sûreté du Québec.

Mais le travail de la GRC n’est pas terminé.

Le Caporal Stephen Ludlow est à cette époque membre de l’équipe d’identification des victimes. Son rôle est de s’assurer que la fillette sur la photo n’est pas déjà connue des autorités, quelque part dans le monde. Si c’était le cas, cela voudrait dire que le suspect a menti en affirmant qu’il envoyait des photos de sa propre fille – comme le font certains prédateurs pour en impressionner d’autres –, et qu’il aurait plutôt utilisé une image trouvée en ligne, d’une autre enfant.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Le caporal Stephen Ludlow

Il y a tellement de matériel qui circule sur l’internet qu’on ne peut pas savoir si l’enfant dans ces images a déjà été identifié.

Le caporal Stephen Ludlow

« Une des premières choses qu’on fait, c’est de consulter nos partenaires internationaux et dire : nous avons ces images, il y a un enfant à risque. Quelqu’un a-t-il déjà identifié cet enfant ? », explique le caporal Ludlow. « Ça aide à déterminer si cette victime court un risque imminent. »

Le policier compare notamment les clichés de la fillette aux quelque 4,9 millions d’images de la base de données internationale d’INTERPOL. Elle n’apparaît nulle part. Il s’agit donc de « nouveau matériel » et fort probablement d’une nouvelle victime. Les équipes d’identification des victimes des 68 pays partenaires sont immédiatement avisées.

Tout à coup, ce ne sont plus seulement les policiers canadiens qui se mobilisent pour sauver l’enfant, mais ceux du monde entier. Stephen Ludlow compte désormais « sur les yeux de 60 équipes en même temps » pour surveiller, en temps réel, si le suspect distribue ailleurs d’autres images de sa fille, et aider à la retracer.

« Même si tout pointe vers le Canada, on ne saura pas où est cette enfant tant qu’elle n’aura pas été retrouvée », souligne le caporal.

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Nombre de plaintes et de signalements d’infractions d’exploitation sexuelle d’enfants sur l’internet reçus par le Centre national de coordination contre l’exploitation des enfants (CNCEE) de la GRC, du 1er avril 2022 au 31 mars 2023. C’est 26 % de plus que l’année précédente.