Faire changer le nom de l’avenue Christophe-Colomb, à Montréal, en raison de son caractère historique controversé… c’est ce que souhaite accomplir Ray Coelho, qui a lancé une pétition.

Dans ses temps libres, depuis la fin du mois de juin, l’étudiant en science politique à l’Université Concordia Ray Coelho cogne aux portes des résidants de l’avenue Christophe-Colomb, dans l’espoir de les motiver à rejoindre sa cause. Jusqu’à maintenant, il a récolté un peu plus d’une centaine de signatures.

Cette avenue, longue de 8,5 km, est l’une des artères principales de la métropole. Surtout résidentielle, elle débute à la rue Rachel et se termine à la hauteur du boulevard Gouin. Elle traverse plusieurs arrondissements : Plateau-Mont-Royal, Rosemont–La Petite-Patrie, Villeray–Saint-Michel–Parc-Extension et Ahuntsic-Cartierville.

À la place de l’appellation Christophe-Colomb, introduite en 1897 par la Ville de Montréal, Ray Coelho suggère de faire un pas en arrière et de reprendre l’ancien nom : le boulevard Des Ormes. Il a l’impression, en se fiant aux discussions avec les résidants, qu’ils y sont ouverts.

Dans les écoles primaires, on a longtemps eu tendance à présenter Christophe Colomb comme celui qui a « découvert l’Amérique » lors de son premier grand voyage vers les Antilles en 1492. Cette affirmation est évidemment contestée, puisque des peuples autochtones vivaient déjà sur ce territoire.

« Il est responsable d’esclavage et d’exploitation, affirme Ray Coelho au sujet de l’explorateur génois du XVe siècle, en entrevue avec La Presse. Ça devrait être suffisant pour ne pas vouloir qu’il caractérise une rue. »

Ray Coelho a parcouru environ deux kilomètres de l’avenue, jusqu’à maintenant. Il espère se rendre jusqu’au bout d’ici les prochains mois – et atteindre le millier de signatures.

Si les résidants sont absents lorsqu’il se présente, il leur laisse un feuillet d’information dans lequel il évoque une étude de l’Université Yale portant sur le mauvais traitement réservé par Colomb aux populations autochtones, et sur les accusations de génocide qui pèsent sur lui.

« Compte tenu de cela et conformément à la diversité et l’inclusion, l’héritage de Christophe Colomb n’est pas digne d’être commémoré à travers un objet public tel qu’un panneau de signalisation. L’héritage de Christophe Colomb représente une triste période de l’histoire qui blesse ceux qui ont souffert sous la domination coloniale et le racisme », peut-on y lire.

Débat controversé

Pour José Del Pozo, professeur d’histoire latino-américaine à l’UQAM, le sujet est à la fois « intéressant et controversé ». C’est un portrait à deux visages : d’un côté, les mauvais traitements et le massacre, puis de l’autre, l’implantation de la langue espagnole et de la religion catholique qui façonnent aujourd’hui le continent.

« L’évaluation que l’on peut faire de Colomb, c’est la même que d’autres dirigeants de la conquête espagnole, illustre-t-il. C’est un explorateur qui a changé l’histoire du monde. Convaincre le roi d’Espagne de partir pour ce qu’il croyait être les Indes, ce n’est pas un mince exploit. »

En même temps, il est tout à fait vrai que comme tous les autres chefs de conquête, il s’est comporté de façon brutale avec les autochtones… parce que les chefs de conquête étaient tous animés par la soif de richesse.

José Del Pozo, professeur d’histoire latino-américaine à l’UQAM

D’abord cordiales, les relations sont vite devenues inégales entre les autochtones et les Espagnols. « Colomb a commencé à établir le système de travail forcé pour chercher l’or, continue José Del Pozo. Et là, ça a commencé à dégénérer. Puis la même situation va se reproduire dans d’autres pays, comme au Mexique, au Pérou, au Chili. La conquête est un fait sanglant. »

Lui-même natif du Chili, le professeur Del Pozo rapporte que la perception des conquistadors dépend du pays. Chez lui, à Santiago, on retrouve de nombreuses statues de Pedro de Valdivia, ancien gouverneur du Chili. Par contre, au Mexique, les plus nationalistes refusent systématiquement d’honorer Hernán Cortés, ancien gouverneur de la Nouvelle-Espagne.

Le professeur Del Pozo ne se positionne pas nécessairement en faveur d’un nouveau nom, mais « trouve ça intéressant parce que ça ouvre le débat. Ces choses-là font prendre conscience aux gens du poids du passé », pense-t-il.

Il existe également une avenue nommée Colombus à Pointe-Claire, où vit Ray Coelho. Celui-ci a tenté d’inciter le conseil municipal à en modifier le nom il y a quelques mois, mais sans succès.

Selon lui, la municipalité de Pointe-Claire pourrait un jour emboîter le pas à Montréal. Des actions comme le changement de nom de la rue Amherst (le controversé général britannique Amherst a offert des couvertures infestées par la variole aux Autochtones) en 2019 ou le déboulonnement de la statue de John A. Macdonald (en raison des politiques assimilatrices et génocidaires de cet ancien premier ministre du Canada) en 2020 le portent à croire que c’est possible.