Pendant quatre mois, Cuma Kaya s’est rendu tous les jours au coin de rue où sa fille de 22 ans a été happée mortellement par un camion ayant omis de s’immobiliser à un arrêt obligatoire. Et aujourd’hui, non seulement la douleur ne disparaît pas, mais surtout, les réponses manquent. « Ça fait presque une année que je crie, je crie. J’en ai la gorge sèche. »

Les proches de Dilan Kaya, cette jeune femme happée l’été dernier dans le quartier Saint-Michel, demandent aujourd’hui « une vraie réparation ». Depuis sa mort, la famille de la victime n’est plus la même, mais surtout, elle se dit « délaissée par le système ». Elle envisage d’entamer des recours pour se faire justice.

Un peu moins de dix mois après les faits, Diyar et Cuma Kaya, le frère et le père de Dilan, peinent toujours à trouver réponse à leurs questions. Dans son rapport, le coroner Jean Brochu a conclu que la mort était « accidentelle », en rappelant que la victime se trouvait dans l’angle mort du camion.

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Pendant quatre mois, Cuma Kaya s’est rendu tous les jours au coin de rue où sa fille de 22 ans a été happée mortellement.

Cela dit, le coroner cite certains gestes du conducteur comme causes potentielles de la mort de Dilan Kaya, dont le fait qu’il ne s’était pas immobilisé complètement à l’arrêt et qu’il se trouvait dans une zone interdite aux véhicules lourds. La victime a été happée le 22 juin, alors qu’elle empruntait un passage piéton, à l’angle de la rue Bélair et de la 22Avenue, dans le quartier Saint-Michel.

Pourtant, le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) n’a déposé aucune accusation. Une décision que s’explique bien mal Diyar Kaya.

« On voudrait savoir pourquoi le conducteur n’a pas été accusé. La seule chose qu’on nous a dite, c’est que c’était un accident. » Cette conclusion, toutefois, s’agence bien mal avec certaines des conclusions du coroner, estiment les deux hommes endeuillés. « Le conducteur n’était pas censé être là, lance Diyar. Tu le sais que tu n’es pas censé être là, fais tes arrêts au moins, fais tes angles morts. »

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Carte du lieu de l’accident

Le Service de police de la Ville de Montréal, lui, a depuis précisé que son « serment de discrétion » l’empêchait de commenter des cas en particulier, mais que, « de façon générale, pour que des accusations criminelles puissent être déposées à l’endroit d’un conducteur impliqué dans une collision, les enquêteurs doivent avoir des motifs raisonnables de croire qu’une infraction criminelle a été commise ».

« On veut une vraie réparation »

« Ça fait presque une année que je crie, je crie. J’en ai la gorge sèche », souffle Cuma Kaya non sans émotion. « Je suis resté là-bas pendant quatre mois. Le cinquième mois, j’ai été hospitalisé. Mais encore, je ne lâche pas. Je veux des réponses », persiste le père de famille, visiblement ébranlé.

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En plus d’une peine persistante, les deux hommes vivent chaque jour avec un profond sentiment d’injustice, déplorent-ils. Ils se sont vu offrir une indemnité par la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ), « des peanuts », dit Diyar.

« Ils essaient de fermer ce dossier-là avec une indemnité minime. On ne veut rien savoir de la prendre […] on veut une vraie réparation », avance-t-il. « Le problème, c’est le système. Ça n’a pas de sens, ce qu’on nous offre. On essaie de rester forts, mais ce n’est déjà pas facile de perdre un proche si jeune », ajoute-t-il.

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Cuma et Diyar Kaya, le père et le frère de Dilan, happée mortellement l’été dernier dans Saint-Michel

Au cours des derniers mois, le frère et le père de la victime ont notamment contemplé l’idée de poursuivre le conducteur impliqué – ou l’entreprise dont il était employé – au civil. Mais ils se heurtent chaque fois, dans leur quête d’information, à des refus obstinés.

« Encore aujourd’hui, je n’ai aucune idée qui est le camionneur, affirme par exemple Diyar. Est-ce qu’il est toujours au travail ? On n’est pas capables de le poursuivre, ni lui ni l’entreprise. »

Un témoignage bien reçu

Dans leur deuil, Diyar et Cuma disent par ailleurs avoir été hautement touchés par l’« appel à l’action » lancé mardi dernier par la mairesse de Montréal, Valérie Plante, qu’ils ont sentie « bouleversée » elle aussi.

En mêlée de presse, Mme Plante a notamment fait valoir que la SAAQ, qui ne prévoit pas appliquer l’essentiel des recommandations du coroner, doit à tout le moins « s’inscrire dans la solution ». « Le camion n’avait pas d’affaire là, sur une rue locale, il n’a pas fait son stop, et là, il y a une femme qui est décédée. C’est dur à entendre », a-t-elle lancé en réponse à nos questions.

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Parmi les recommandations, formulées à la SAAQ et à Transports Canada, le coroner suggérait entre autres d’envisager de rendre obligatoire l’installation de « feux à éclat pénétrant » à l’avant des véhicules lourds ainsi qu’une alarme sonore extérieure pour aviser les usagers de la route vulnérables se trouvant à proximité.

Dans sa réponse, la SAAQ a indiqué que si les dispositifs sonores sur les véhicules lourds peuvent « s’avérer intéressants » pour avertir un usager vulnérable de l’intention de reculer ou de tourner, « un trop grand nombre de véhicules munis d’un tel signal pourrait faire en sorte que ce signal soit banalisé ».

Par courriel, Transports Canada, de son côté, affirme que les recommandations lui étant adressées seront « prises en compte et évaluées avec attention pour considération future ».