Mathieu Valade écarte la bâche suspendue au plafond de sa salle de bain. En entrant dans la baignoire, on peut voir le trou béant dans le plafond, qui s’est effondré le 17 novembre dernier à la suite d’une énième inondation.

Dans des images tournées ce jour-là, on voit d’abord un trou se former dans le plafond de la salle de bain. Une vidéo tournée le lendemain montre l’ampleur des dégâts ainsi que la source du dégât d’eau, dans l’appartement situé en haut.

Depuis le 7 septembre, Mathieu et son colocataire, Jean-François Gagnon, ont été évacués deux fois de leur logement. La première fois, à la suite d’un incendie. La seconde, après une inondation majeure. Dans leur appartement, l’air est si chargé d’humidité qu’on a peine à respirer.

Mathieu Valade a résolu de poursuivre son propriétaire devant le Tribunal administratif du logement. Ses avocates ont fait réaliser un test d’air chez lui. La conclusion de la firme Air Saphir, spécialisée dans l’évaluation de la qualité de l’air, est limpide. « Les analyses ont soulevé de la contamination dans l’air de l’appartement. Cette contamination représente un danger pour les occupants. »

  • Jean-François Gagnon dans l’appartement qu’il partage avec Mathieu Valade au 4790 Sainte-Catherine Est.

    PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

    Jean-François Gagnon dans l’appartement qu’il partage avec Mathieu Valade au 4790 Sainte-Catherine Est.

  • La peinture des murs de l’appartement a été grattée afin de prévenir l’apparition de moisissures, mais l’air est pratiquement irrespirable dans le logement.

    PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

    La peinture des murs de l’appartement a été grattée afin de prévenir l’apparition de moisissures, mais l’air est pratiquement irrespirable dans le logement.

  • Mathieu Valade et Jean-François Gagnon dans leur appartement

    PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

    Mathieu Valade et Jean-François Gagnon dans leur appartement

1/3
  •  
  •  
  •  

Vivriez-vous dans ce logement ? Sûrement pas. Pourtant, selon les inspecteurs de l’arrondissement de Mercier–Hochelaga-Maisonneuve, l’appartement occupé par les deux colocataires était jugé habitable jusqu’à un appel de La Presse, le 28 novembre dernier. Tout comme les logements des quatre autres locataires qui demeurent toujours au 4790, rue Sainte-Catherine Est.

Myrtha Guirand, à l’appartement 11, tousse sans arrêt depuis l’inondation majeure du mois d’octobre. Après une visite aux urgences, on l’a envoyée consulter en pneumologie. Michel Séguin, à l’appartement 29, doit utiliser une salle de bain dont les murs sont constellés de moisissures, et dont la toilette ne fonctionne pas. À la fin de novembre, Dominic Deslandes, à l’appartement 5, a lui aussi vu son plafond de salle de bain s’effondrer. « Il manque la moitié du plafond. C’est majeur. »

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Michel Séguin habite à l’appartement 29. Ses murs sont constellés de moisissures et sa toilette ne fonctionne pas.

Non, le 4790, rue Sainte-Catherine n’est pas un palace, et il ne l’a jamais été. Les locataires sont très vulnérables, parfois atteints de troubles mentaux, consommateurs de drogue ou ex-détenus. Mais leur lieu de vie s’est nettement dégradé depuis que l’immeuble a été acheté en août par l’entreprise Roxbury Capitale, propriété du promoteur Henry Zavriyev (voir autre texte).

Nous avons tenté à de multiples reprises de joindre le représentant de M. Zavriyev, David Mimoun. Il n’a pas donné suite à nos demandes.

Peu de constats d’infraction

L’arrondissement est bien au fait des problèmes. Les pompiers ont été appelés neuf fois sur place depuis septembre, nous indique le Service de sécurité incendie de Montréal (SIM). En date du 28 novembre, il y avait eu au total 16 visites des inspecteurs, 64 inspections et 7 avis remis au propriétaire. Et pourtant, pendant plus de deux mois, le propriétaire n’a écopé d’aucun constat d’infraction. Il a fallu attendre le 10 novembre pour qu’on donne une première amende, de 1667 $, pour des travaux non réalisés dans l’appartement 2.

Le 27 novembre, un deuxième constat est rédigé, et le lendemain, après un appel de La Presse à l’arrondissement, un troisième constat est produit, aussi de 1667 $. Les pompiers, alertés par une alarme incendie, ont constaté que d’importants travaux étaient exécutés sans permis.

  • Les pompiers ont été appelés neuf fois sur place depuis septembre. Il a fallu plus de deux mois pour qu’un premier constat d’infraction soit donné au propriétaire.

    PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

    Les pompiers ont été appelés neuf fois sur place depuis septembre. Il a fallu plus de deux mois pour qu’un premier constat d’infraction soit donné au propriétaire.

  • Les pompiers ont été appelés neuf fois sur place depuis septembre. Il a fallu plus de deux mois pour qu’un premier constat d’infraction soit donné au propriétaire.

    PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

    Les pompiers ont été appelés neuf fois sur place depuis septembre. Il a fallu plus de deux mois pour qu’un premier constat d’infraction soit donné au propriétaire.

  • Les pompiers ont été appelés neuf fois sur place depuis septembre. Il a fallu plus de deux mois pour qu’un premier constat d’infraction soit donné au propriétaire.

    PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

    Les pompiers ont été appelés neuf fois sur place depuis septembre. Il a fallu plus de deux mois pour qu’un premier constat d’infraction soit donné au propriétaire.

1/3
  •  
  •  
  •  

Entre septembre et décembre, un seul logement de l’immeuble a été déclaré inhabitable. Après avoir été évacués deux fois à la suite de sinistres, les locataires ont toujours dû réintégrer leurs logements. Pourquoi ? « J’ai un courriel d’un locataire qui me supplie de ne pas déclarer le bâtiment insalubre », répond Radia Zatout, l’inspectrice au dossier. Mme Zatout est persuadée d’avoir agi au mieux pour que les locataires puissent éviter d’être évincés.

PHOTO FOURNIE PAR ENTRAIDE LOGEMENT HOCHELAGA-MAISONNEUVE

L’avis apposé par les pompiers sur la porte du 4790, rue Sainte-Catherine Est après l’inondation du 7 octobre.

La Direction régionale de santé publique a fini par être alertée. Les médecins de la Santé publique réalisent actuellement une « expertise » dans les logements toujours occupés, indique Jean-Nicolas Aubé, porte-parole de la DRSP. Des sources précisent à La Presse que de l’amiante aurait été découvert dans les murs.

La situation au 4790 indigne Annie Lapalme, de l’organisme Entraide-logement, qui œuvre dans Hochelaga-Maisonneuve. « C’est l’impunité presque totale pour le propriétaire. Pendant ce temps, il rénove, avec des permis, et il s’apprête à les louer, probablement beaucoup plus cher. On facilite beaucoup la tâche aux rénovicteurs. L’arrondissement connaissait la situation, ils ont laissé faire, ça a facilité les évictions », affirme Mme Lapalme.

Au fil des ans, Annie Lapalme a œuvré dans d’autres comités logement, dont Côte-des-Neiges et Verdun. Jamais elle n’a vu une telle passivité de la part d’un arrondissement. « C’est le pire cas que j’ai vu en dix ans. »

« Notre optique, ça n’est pas de donner des constats, rétorque Christine Harrisson, cheffe de division aux permis et inspections à l’arrondissement. Ces propriétaires-là, ils ont tellement d’argent, qu’ils disent : envoie-les-moi, tes constats ! » Le but de l’arrondissement, plaide-t-elle, était de « mettre de la pression » pour que les travaux soient effectués et que les locataires puissent réintégrer leur logement le plus vite possible.

« C’est un des pires cas qu’on a vécus à l’arrondissement, une tempête parfaite, ajoute le maire de l’arrondissement, Pierre Lessard-Blais. Ça a été bien géré par nos services, à l’intérieur des pouvoirs qu’on a. Mais ça reste une tragédie humaine. »

Prisonniers de leur logement

Des quinze locataires occupants en août, il n’en restait que six au début de décembre. Certains d’entre eux ont conclu une entente avec le propriétaire, et devront partir en mars. Ils voudraient bien fuir leur immeuble, mais ne trouvent rien qu’ils sont capables de payer.

« Je suis une survivante », résume Myrtha Guirand. Elle paye 640 $ pour son deux et demie. « Maintenant, quand je cherche un logement, c’est deux fois plus cher. » Après les sinistres, elle a fait une demande pour obtenir un HLM d’urgence. « Mais ça a été annulé, parce que la Ville nous a dit de réintégrer l’immeuble. » Michel Séguin est bien d’accord. « Moi, ce que je voudrais, c’est un HLM. »

Les locataires évacués d’immeubles insalubres ont droit à des HLM d’urgence s’ils remplissent les critères de l’Office municipal d’habitation de Montréal, nous a d’abord assuré le directeur des communications de l’organisme, Mathieu Vachon. « En aucun cas, l’OMHM ne peut garantir de place permanente en HLM au lendemain d’un sinistre », nous a par la suite indiqué Laurent Richer Beaulieu, chef de cabinet du maire d’arrondissement, après avoir consulté la direction de l’OMHM.

Les locataires du 4790 sont-ils donc prisonniers de leur logement ?

Ce cas de figure se produit de plus en plus souvent avec la crise du logement, observe le docteur Stéphane Perron, spécialiste en santé publique, qui travaille comme clinicien au CHUM.

Avant, quand une personne était dans un logement insalubre, on lui disait de s’en aller. Maintenant, on ne peut plus dire ça. Les gens s’accrochent à des logements qui sont insalubres, mais abordables. C’est le changement majeur que je vois dans ma pratique.

Le Dr Stéphane Perron, spécialiste en santé publique

Quant à Mathieu Valade et Jean-François Gagnon, au moment d’écrire ces lignes, le trou et la bâche étaient toujours dans leur salle de bain. Une semaine après l’inondation, ils sont allés rencontrer le chef inspecteur de l’arrondissement, Patrick Roy, et ont enregistré la conversation. « Prendriez-vous une douche là-dedans, vous ? Ça fait peur quand on prend notre douche ! », a lancé Jean-François Gagnon.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Mathieu Valade et Jean-François Gagnon

« Nous, notre rôle, c’est d’émettre des permis, leur a répondu Patrick Roy. L’inspectrice, dans votre dossier, elle dépasse ce qu’elle doit faire. Il faut que vous compreniez les limites de notre intervention. »

À la fin de novembre, après un appel de La Presse à l’arrondissement, le propriétaire a finalement offert à Mathieu Valade et Jean-François Gagnon de les reloger ailleurs dans l’immeuble.