La condamnation est tombée, mardi, pour le chercheur québéco-algérien Raouf Farrah : l’homme de 36 ans, emprisonné depuis février, devra purger deux ans de prison ferme en Algérie. Il était notamment accusé de publication d’informations classées secrètes ou partiellement secrètes. Ses proches dénoncent la sentence.

« Nous sommes effondrés par ce verdict », a commenté une personne s’exprimant au nom de la famille, jointe par La Presse. Elle n’a pas voulu être identifiée pour des raisons de sécurité. « C’est très dur d’accepter ce verdict, a-t-elle ajouté. Imaginez passer deux ans en prison, c’est énorme. C’est la moitié de la vie de sa fille de 4 ans. »

Raouf Farrah et le journaliste algérien Mustapha Bendjama, 32 ans, ont été déclarés coupables mardi de « publication d’informations et de documents dont le contenu est classé partiellement ou intégralement secret, sur un réseau électronique ou d’autres moyens technologiques de médias », selon l’avocat de M. Farrah, MKouceila Zerguine, dont les propos ont été rapportés par l’Agence France-Presse. Ils ont interjeté appel, a-t-il ajouté.

« Victime collatérale »

« C’est une victime collatérale », a commenté au téléphone Mark Micallef, directeur du centre de recherche Global Initiative Against Transnational Organized Crime (GI-TOC) pour la région de l’Afrique du Nord et du Sahel. Il est le patron de M. Farrah, chercheur-analyste pour l’organisme, établi en Tunisie depuis trois ans avec sa femme et sa fille pour poursuivre ses travaux.

Les autorités algériennes auraient plutôt visé son ami, Mustapha Bendjama, soupçonné d’avoir aidé la militante franco-algérienne Amira Bouraoui à quitter le pays pour la France – « illégalement », selon les autorités algériennes. Active dans le mouvement de contestation prodémocratie, elle avait été condamnée plus tôt pour « atteinte à la personne du président de la République » et « offense à l’islam ». Sa fuite vers la France a créé un incident diplomatique entre les deux pays.

M. Bendjama a été arrêté le 8 février. Le rédacteur en chef du journal Le Provincial n’en était pas à sa première interpellation, dans ce pays où les journalistes sont régulièrement poursuivis ou emprisonnés.

En fouillant son téléphone, les enquêteurs ont découvert des communications avec M. Farrah. Quelques jours plus tard, le chercheur, en visite avec sa femme et sa fille dans son pays natal, a été arrêté.

Indicateurs socio-économiques

M. Farrah avait confié une collaboration au journaliste. M. Bendjama a expliqué en cour avoir compilé « un rapport déclinant 54 indicateurs socio-économiques en contrepartie de 1500 $ » pour le GI-TOC.

Or, il semblerait que les enquêteurs aient confondu « indicateur socio-économique » avec indicateur de police…

Raouf Farrah a également été condamné pour « réception de fonds d’institutions étrangères ou intérieures dans l’intention de commettre des actes qui pourraient porter atteinte à l’ordre public », selon son avocat. Il a admis avoir encaissé les 1500 $ dans son compte pour les remettre à M. Bendjama dans la devise locale, une infraction au règlement.

Son père, Sebti Farrah, qui habite la région montréalaise, a aussi écopé d’un an d’emprisonnement avec sursis pour ce dernier motif. « C’est un soulagement parce qu’il ne fait pas de prison, mais dans les circonstances, c’est triste, parce qu’il n’a rien à voir », a exprimé le porte-parole de la famille ayant requis l’anonymat.

« Sa place n’est pas en prison »

« Raouf n’est pas dangereux pour la société, ce n’est pas un voyou ou un bandit, a commenté Mourad Haouas, un ami de la famille joint à Montréal. Sa place n’est pas en prison, il peut y avoir d’autres mesures intermédiaires, pourquoi le placer dans une prison encombrée ? »

M. Haouas, lui aussi d’origine algérienne, a vu Raouf Farrah grandir. La famille de M. Farrah a quitté l’Algérie en 2005.

La santé du chercheur soulève des inquiétudes. Il a subi une intervention chirurgicale à un genou l’an dernier, qui nécessite un suivi. Il n’aurait pas eu accès à des soins de santé, selon sa famille.

« Les conditions de la prison… Il mange mal, je vous laisse imaginer la proximité, la chaleur… Ce ne sont pas de bonnes conditions pour quelqu’un qui doit se rétablir d’une blessure pareille. »

M. Farrah et M. Bendjama sont détenus depuis leur arrestation, en février.

Les proches de M. Farrah attendent maintenant la date du nouveau procès en appel. « Pour nous, chaque journée où il est en prison est une injustice », a indiqué le porte-parole de la famille.

Human Rights Watch a dénoncé la condamnation des deux hommes mardi comme « politique », estimant qu’il s’agit d’une « répression tous azimuts des autorités ».

Avec l’Agence France-Presse