Des menaces de mort, de la violence physique et des propos inquiétants : Dahia Khellaf, tuée par son conjoint en 2019 après une séparation, avait expliqué aux policiers un an avant le drame que son mari l’avait menacée avec des ciseaux et souffrait probablement de schizophrénie.

Ce qu’il faut savoir

  • Le début de l’enquête du coroner révèle qu’en août 2018, Dahia Khellaf a porté plainte contre son mari, Nabil Yssaad. Le couple a deux garçons en bas âge et réside alors dans le secteur de Pointe-aux-Trembles, à Montréal.
  • Une ordonnance de la cour qui interdit à Nabil Yssaad de s’approcher de son ex-conjointe ou de communiquer avec elle est imposée en décembre 2019.
  • Quelques jours plus tard, Dahia Khellaf et ses deux enfants sont retrouvés morts dans leur résidence. Nabil Yssaad les aurait tués avant de se donner la mort, à Joliette.

Les propos tenus par Dahia Khellaf aux policiers lorsqu’elle porte plainte contre son mari en 2018 ont été rapportés par la sergente-détective Caroline Raza lors de l’enquête publique du coroner sur la mort de Mme Khellaf et de ses enfants de 4 et 2 ans, Adam et Aksil.

C’est Nabil Yssaad, conjoint de la mère de famille et père des deux garçons, qui aurait commis ce triple meurtre en décembre 2019. L’homme de 46 ans s’était ensuite donné la mort en se jetant du sixième étage d’un hôpital de Joliette.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Les victimes ont été retrouvées dans leur résidence de Pointe-aux-Trembles.

La sergente-détective Raza, alors chargée du dossier de violence conjugale, a lu devant la coroner MAndrée Kronström les déclarations de 2018 de Mme Khellaf aux agents du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM). La femme de 42 ans a confié que son mari avait essayé de lui tordre le bras et de lui mordre la main pour lui arracher des documents qu’elle tenait.

La même année, après une dispute en lien avec leur rupture, il a fait mine d’accepter de quitter le domicile, mais a refusé de partir. « Il a pris un ciseau et se dirige vers moi en disant : je vais te percer l’œil », a raconté Mme Khellaf à l’époque. Son mari accusait les voisins de « leur jeter des sorts » et les voyait comme des ennemis. « Je soupçonne qu’il souffre de schizophrénie. Il délire et fait des choses bizarres. Il ne me regarde pas dans les yeux quand il communique », a poursuivi la mère de famille dans sa déclaration.

Elle craignait pour sa sécurité, mais pas pour celle de ses enfants.

Lorsque le dossier s’est retrouvé devant les tribunaux, Dahia Khellaf a affirmé ne pas vouloir témoigner. Elle était certaine que son mari était schizophrène et souhaitait qu’il reçoive des soins en santé mentale.

« On n’est pas en mesure d’imposer une thérapie de cette façon à un individu qui le refuse. Le Code criminel ne le permet pas », a expliqué à la coroner MPascal Dostaler, procureur en chef adjoint spécialisé en violence conjugale au DPCP.

Dahia Khellaf a recommencé à vivre avec l’accusé dans l’année qui a suivi la plainte. « Elle a dit qu’il avait changé », explique MDostaler. Les conditions de Nabil Yssaad ont été assouplies pour permettre la cohabitation. Le dossier n’a toutefois pas été fermé.

Les voisins inquiets

« Si j’avais su, j’aurais appelé la police » : Latifa Sail, voisine de Dahia Khellaf, a expliqué que Nabil Yssaad continuait de rôder autour de la maison familiale malgré une ordonnance de la cour qui lui interdisait de le faire.

« Pourquoi on ne m’a pas dit que ce monsieur-là, il n’avait pas le droit de venir ici ? Je l’ai vu le jeudi avant le meurtre. Je pense que le danger était déjà là », a expliqué Mme Sail à la coroner.

Il était souvent au parc près de la maison, selon elle.

PHOTO TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DE NABIL YSSAAD

Nabil Yssaad

Dahia Khellaf s’est confiée à elle en 2018.

« Elle a commencé à me dire que son mari souffrait d’une maladie mentale. Il se réveillait la nuit et commençait à crier. Elle m’a dit que parfois, il était agressif et commençait à crier. »

Dahia Khellaf avait mentionné à Mme Sail vouloir se séparer de son mari. « Mais elle ne voulait pas séparer ses enfants de leur père », a expliqué la voisine.

Accusé dans un dossier de violence conjugale à la suite de la plainte de Mme Khellaf en 2018, Nabil Yssaad n’avait alors pas le droit de se présenter au domicile ou sur les lieux de travail de sa conjointe ni de communiquer avec elle, selon une ordonnance rendue le 4 décembre 2019, soit quelques jours avant le triple meurtre.

« Il n’était pas normal »

Wahiba Menad, une amie de Nabil Yssaad qui l’a côtoyé avant la tragédie, a dû couper les ponts avec lui. Sa déclaration aux policiers a été passée en revue mardi matin.

« C’était un très bon ami, mais il voulait plus. Je ne voulais pas de relation amoureuse avec lui », a expliqué la femme aux enquêteurs.

Nabil Yssaad insistait malgré son refus. Elle lui a expliqué qu’elle ne voulait plus de contact.

« Le seul moyen, c’était de lui dire : ne me contacte plus. Il ne comprenait pas autrement », raconte Mme Menad.

Nabil Yssaad s’est confiée à Mme Menad sur ses problèmes de couple. Il a raconté que sa femme l’empêchait de voir ses deux garçons. « Selon lui, sa femme était dépressive et agressive avec lui. Il dit qu’elle avait déposé une fausse plainte pour violence conjugale. »

Elle n’avait pas d’information sur sa santé mentale, mais trouvait étrange qu’il se soit attaché à elle en si peu de temps. « De faire une fixation sur une personne comme ça, je ne trouvais pas ça normal », explique son ancienne amie aux enquêteurs.

Elle a alors réitéré qu’il ne devait plus la contacter. « Je lui ai dit que s’il n’arrêtait pas, j’allais faire une plainte pour harcèlement. »

L’enquête publique se poursuit jusqu’à vendredi.