(Ottawa) La Cour suprême du Canada confirme des normes que les cours d’appel utilisent depuis longtemps pour réviser les jugements de première instance. Le plus haut tribunal du pays estime que ces normes favorisent une évaluation équitable des témoignages entendus au procès.

Dans un arrêt publié vendredi concernant deux affaires d’agression sexuelle, la Cour suprême refuse de reconnaître une nouvelle règle appliquée par certaines cours d’appel pour contrôler les conclusions tirées par le juge au procès sur la crédibilité et la fiabilité des témoins.

Cette nouvelle règle était parfois utilisée par une cour d’appel pour déterminer qu’un juge de première instance s’était appuyé sur des « hypothèses logiques » qui ne reposaient pas sur la preuve au procès.

La Cour suprême affirme que la règle a été appliquée dans des causes d’agression sexuelle qui s’appuyaient sur des récits contradictoires de l’accusé et de la plaignante.

Écrivant au nom de la majorité, la juge Sheilah Martin qualifie la « règle interdisant le recours aux hypothèses logiques infondées » de « changement radical par rapport à la façon dont les cours d’appel ont en général abordé l’appréciation de la crédibilité et de la fiabilité, surtout dans le contexte des agressions sexuelles ».

La Cour suprême estime que les normes de contrôle et les règles de preuve actuelles doivent continuer de s’appliquer, et qu’aucun changement à la loi n’est donc justifié.

« Les normes actuelles selon lesquelles les juridictions d’appel révisent les jugements de première instance sont bien conçues, établies depuis longtemps et favorisent une juste appréciation des témoignages », écrit la juge Martin au nom de cinq collègues.

« Il n’est pas nécessaire d’élaborer une nouvelle règle de droit interdisant le recours à toute hypothèse non fondée sur des éléments de preuve précis dans le dossier afin de tenter d’obtenir le résultat auquel parviennent déjà les règles existantes. »

L’adoption d’une telle règle « minerait l’approche flexible et fonctionnelle à l’égard de l’intervention en appel et causerait des préjudices dans l’ensemble du droit criminel », lit-on dans l’arrêt.

« Les normes de contrôle et les règles de preuve actuelles continueront de s’appliquer au contrôle du recours fautif à des hypothèses logiques dans les procès criminels. »

« Erreur manifeste et déterminante »

La juge Martin ajoute toutefois que dans certains cas, le recours au bon sens par le juge du procès « sera susceptible de contrôle en appel parce qu’il révèle des erreurs de droit reconnues ».

Dans le cas contraire, la norme de contrôle sera « l’erreur manifeste et dominante » – ce qui signifie, par exemple, que l’hypothèse est manifestement fausse et « touche directement à l’issue de l’affaire ».

Dans les deux affaires distinctes et sans lien entre elles portées devant la Cour suprême, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique avait annulé les condamnations pour agression sexuelle sur la base d’erreurs de droit présumées de la part des deux juges de première instance.

Dans une première affaire, le juge au procès avait conclu qu’il était peu probable qu’une femme puisse se tromper sur la sensation de « pénétration péno-vaginale ». La Cour d’appel a ensuite conclu que le juge s’était appuyé « sur un raisonnement conjectural ».

Dans la deuxième affaire, la Cour d’appel a déclaré que la juge de première instance avait formulé trois hypothèses concernant le comportement humain qui ont eu une incidence sur son appréciation de la preuve. Elle avait par exemple présumé que quelqu’un ne demanderait pas à recevoir une fessée, « de but en blanc », pendant des préliminaires sexuels.

« Se fondant sur la règle interdisant le recours à des hypothèses logiques infondées, qui tire son origine d’une série d’arrêts des juridictions d’appel, la Cour d’appel a conclu que les juges du procès avaient commis des erreurs de droit en formulant des hypothèses sur le comportement humain qui ne reposaient pas sur la preuve », écrit la Cour suprême.

« Puisque je rejette cette nouvelle erreur de droit, j’apprécierais les conclusions des juges du procès selon la norme de l’erreur manifeste et déterminante », écrit la juge Martin.

« Je conclus que leurs conclusions sur la crédibilité et la fiabilité ne comportaient aucune erreur de ce genre. Par conséquent, je suis d’avis d’accueillir les deux pourvois et de rétablir les déclarations de culpabilité » dans les affaires d’agressions sexuelles en Colombie-Britannique.