En plus d’un délai qu’il juge « déraisonnable » pour la remise du constat d’infraction, l’avocat Julius Grey estime que cette situation cache un « air d’arbitraire » là où il ne devrait pas y en avoir dans le droit pénal.

« C’est certainement inquiétant », affirme MGrey, constitutionnaliste spécialisé dans les questions de libertés individuelles. « Et il me semble étrange qu’il y ait des inculpations un an et demi plus tard seulement. »

Si la question des délais déraisonnables est moins stricte pour la période précédant l’inculpation que pour celle qui suit, les nombreux mois écoulés ne sont pas pour autant sans soulever certaines préoccupations, dit-il. « Ça remet en cause la capacité de se défendre et de se souvenir [des faits allégués]. »

Les longs délais minent donc la capacité des accusés de « présenter une défense complète », croit-il.

Mariette Lauzon, prise en défaut quand elle est rentrée de France en novembre 2021, affirme s’être débarrassée, à la fin de 2022, de tous les documents qu’elle avait conservés jusque-là. « J’ai jeté tout ça, car on n’avait pas reçu de nouvelles », dit-elle, appuyant les craintes de MGrey.

Joint par La Presse, le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) a souligné que le délai de prescription pour la poursuite d’une infraction pénale en vertu de la Loi sur la mise en quarantaine était de deux ans.

« Avant d’entreprendre une poursuite, le procureur doit être convaincu, sur le fondement de son analyse objective de l’ensemble de la preuve, d’une perspective raisonnable de condamnation », a par ailleurs rappelé sa porte-parole adjointe, Me Patricia Johnson.

Position d’autorité

MGrey est par ailleurs d’avis que d’autres éléments pourraient servir de défense aux personnes qui choisissent de contester ces contraventions. « Si une personne en situation d’autorité nous a trompés, il y a possibilité d’élaborer une défense. »

À la lumière du récit des faits, le juriste se demande si les personnes entrant au pays n’ont pas été bafouées dans leur capacité à prendre une « décision éclairée ». Il rappelle néanmoins que l’ignorance de la loi n’est pas une défense et concède qu’il fallait bel et bien présenter un test PCR pour réintégrer le pays.

PHOTO IVANOH DEMERS, ARCHIVES LA PRESSE

L’avocat constitutionnaliste Julius Grey

Mais si on vous induit en erreur et qu’on vous dit – ou qu’on laisse entendre – que vous pouvez entrer… ça peut être une défense.

Me Julius Grey, avocat constitutionnaliste

L’avocat Rabih Habib, qui a défendu des personnes contestant des infractions liées aux mesures sanitaires dans d’autres dossiers, est aussi d’avis qu’il est possible d’articuler une défense autour de la confusion. « Surtout quand la confusion provient d’une personne en situation d’autorité », ajoute-t-il.

MGrey et lui insistent néanmoins : chaque dossier est unique et doit être traité indépendamment, en fonction des faits qui lui sont propres.

Responsabilité du citoyen

Rabih Habib reconnaît que certaines défenses tiennent la route, mais il insiste également sur la responsabilité individuelle. Au moment de franchir la frontière, dit-il, les contrevenants se voient remettre un avis de non-conformité.

« C’est un document relativement clair, avec un logo officiel. Les articles [du Code criminel] y sont clairement identifiés, de même que ceux auxquels contrevient la personne. Il doit donc y avoir un certain degré de reconnaissance [de la situation]. » Ce document, Mmes Plante et Lauzon de même que M. Beeson l’ont reçu.

C’est toutefois lors de leurs échanges verbaux qu’ils reprochent aux agents des services frontaliers un manque de transparence, ou à tout le moins de clarté. « Si le pays ne voulait pas de nous, il aurait fallu nous refouler carrément plutôt que nous laisser passer en toute connaissance de cause, avant d’administrer une punition… et quelle punition », souffle M. Beeson.