(Ottawa) Le gouvernement Trudeau confie les rênes de l’enquête publique sur l’ingérence étrangère à la juge Marie-Josée Hogue, de la Cour d’appel du Québec. La magistrate a le mandat de se pencher sur les actions perturbatrices de la Chine, de la Russie et d’autres États, et elle devra mener l’exercice à terme d’ici le 31 décembre 2024.

Ce qu’il faut savoir

  • La juge Marie-Josée Hogue aura environ un an et trois mois pour mener l’enquête publique.
  • La magistrate se penchera sur l’ingérence de la Chine, de la Russie, et d’autres États, pendant les élections de 2019 et 2021.
  • Les partis d’opposition ont tous accueilli favorablement cette nomination, qui survient après des semaines de pourparlers.

L’annonce faite jeudi à Ottawa par le ministre de la Sécurité publique, Dominic LeBlanc, survient au terme de plusieurs semaines de pourparlers avec les partis d’opposition et de nombreuses consultations, notamment auprès du juge en chef de la Cour suprême du Canada, Richard Wagner.

La juge Hogue devra mener ses travaux dans un délai restreint : son rapport intermédiaire doit être présenté d’ici environ cinq mois, soit le 29 février 2024. Le rapport public final, quant à lui, est attendu au plus tard le 31 décembre 2024.

Elle examinera les tactiques de la Chine, de la Russie et d’autres États ou joueurs non étatiques aux élections de 2019 et de 2021, et recommandera « des moyens de renforcer la protection des processus démocratiques fédéraux contre l’ingérence étrangère », est-il énoncé dans le cadre de référence.

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Dominic LeBlanc, ministre de la Sécurité publique, des Institutions démocratiques et des Affaires intergouvernementales

Pourquoi élargir son champ d’action au-delà de l’ingérence chinoise, qui est à l’origine de la création de cette commission d’enquête ? « La Chine n’est pas le seul joueur étranger qui tente de déstabiliser les institutions démocratiques au Canada ou dans d’autres démocraties occidentales », a fait valoir le ministre LeBlanc.

« Nous voulions que la commission et que la juge Hogue aient la capacité de suivre les éléments de preuve. […] Nous souhaitions qu’elle ait cette liberté », a-t-il ajouté en conférence de presse, insistant sur le fait que les règles du jeu ont le sceau d’approbation de tous les partis.

Invité à se prononcer sur l’échéancier serré des travaux, il n’a pas voulu établir de lien entre le calendrier et la tenue des prochaines élections. Les partis d’opposition tiennent à ce que l’enquête soit achevée avant le prochain scrutin prévu en octobre 2025, mais le gouvernement libéral minoritaire doit survivre jusque-là.

La commission ayant été mise sur pied en vertu de la Loi sur les enquêtes, sa présidente dispose du pouvoir de contraindre des témoins à comparaître. Sans vouloir présumer de la liste de témoins qu’élaborera la juge, le ministre LeBlanc a assuré que lui et ses collègues du Cabinet étaient prêts à collaborer entièrement.

« Un privilège »

Dans une déclaration transmise aux médias, la juge Hogue a affirmé qu’hériter de cette responsabilité était un « privilège », se disant « impatiente » de se mettre au travail.

Il est essentiel que nos processus électoraux et nos institutions démocratiques soient protégés contre l’ingérence étrangère.

Extrait de la déclaration de la juge Marie-Josée Hogue transmise aux médias

De leur côté, les partis d’opposition se sont tour à tour attribué le crédit, mais avec un degré d’enthousiasme variable. Tandis que le bloquiste Alain Therrien s’est dit « extrêmement content » que la juge relève le défi, le conservateur Andrew Scheer s’est borné à dire que sa formation « acceptait » sa nomination.

« C’est une bonne journée pour les Canadiens », s’est pour sa part réjoui le néo-démocrate Peter Julian.

Recherche ardue

La nomination de la juge Hogue intervient après des semaines de négociations. Le ministre LeBlanc et les hauts fonctionnaires du Bureau du Conseil privé ont essuyé plusieurs refus de la part de juges actuels et de juges à la retraite avant de trouver la perle rare.

Au total, selon nos informations, une dizaine de magistrats en poste et à la retraite ont décliné l’invitation de présider une enquête. Des juges ont justifié leur refus en évoquant le traitement réservé à l’ancien gouverneur général David Johnston alors qu’il était rapporteur spécial indépendant sur l’ingérence étrangère.

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David Johnston, ancien rapporteur spécial indépendant sur l’ingérence étrangère

Les salves, en particulier celles en provenance des banquettes conservatrices, s’étaient intensifiées après que M. Johnston eut déterminé qu’une enquête publique n’était pas nécessaire. La Chambre des communes avait adopté une motion réclamant son départ, volonté à laquelle le principal intéressé s’était ensuite plié.

La juge qui a finalement dit oui, quant à elle, entame officiellement son mandat le 18 septembre prochain. Une fois ses nouveaux habits de commissaire revêtus, elle commencera par tenir des audiences publiques avant de passer aux audiences de la commission.

En conférence de presse, le ministre Dominic LeBlanc n’a pas voulu dire si le gouvernement Trudeau suivrait l’ensemble des recommandations qui découleront de l’exercice, plaidant ne pas vouloir « présupposer » de la nature de celles-ci.