(Lacolle) L’évènement était-il heureux ou malheureux ? Difficile à dire, mais la scène avait été parfaitement chorégraphiée par la Gendarmerie royale du Canada (GRC) pour les médias qui avaient été conviés à y assister.

Vers 8 h, en ce lundi de septembre, les caméras se sont installées au bout du chemin Roxham, pointant l’objectif vers le bâtiment de tôle blanche de la GRC. En arrière-plan, on pouvait apercevoir la borne frontalière au bord du fossé, derrière lequel se tenaient quelques citoyens américains venus assister à la scène.

Une pelle mécanique s’est finalement déplacée jusqu’au bâtiment. Puis, dans un grand fracas métallique, le godet a déchiré les murs et le toit. Quelques minutes plus tard, il ne restait plus rien de ce gros hangar que la GRC avait planté au bord de la frontière en 2017 pour y accueillir les migrants qui y affluaient.

Un peu à l’écart, les membres du collectif Bridges Not Borders ont observé la scène avec un air sombre. « Boys with their toys », a soupiré l’une d’elles. « En montrant tout ça, ils prennent position », s’est dit Patricia Woods. « On dirait bien, en tout cas, que c’est ce qu’ils veulent faire. »

Grace Bubeck était particulièrement émue. Ce bâtiment hideux, c’était aussi celui où des réfugiés franchissaient une étape déterminante de leur parcours migratoire, d’une façon sécuritaire et organisée. Ils y étaient accueillis dès qu’ils avaient traversé le fossé séparant la frontière. Ils n’avaient pas à errer dans le désert ou à traverser une mer sur un radeau de sauvetage, comme ça se passe ailleurs dans le monde. « On parlait de la forteresse européenne. Maintenant, on peut parler de la forteresse du Canada. »

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Des curieux sont venus observer les travaux de démolition du côté américain de la frontière.

Un départ qu’on « souhaite être définitif »

« C’est un jour important pour la GRC », a déclaré le sergent Charles Poirier aux journalistes rassemblés au bout du chemin Roxham. « La GRC est au chemin Roxham depuis le début de la crise migratoire de 2017. Depuis ce temps, ce sont environ 113 000 migrants qui ont été interceptés ici par la GRC ».

À la suite des modifications à l’Entente sur les tiers pays sûrs, « le nombre de migrants qui traversent au chemin Roxham a dramatiquement diminué et notre présence ici n’est plus nécessaire », a déclaré le sergent Poirier.

Depuis les nouvelles mesures entrées en vigueur en mars, les migrants qui traversent la frontière de façon irrégulière ne sont plus accueillis comme avant par la GRC et l’Agence des services frontaliers. Ils sont arrêtés et expulsés vers les États-Unis, à moins de satisfaire à l’une des exceptions en vertu de l’Entente. En cinq mois, seules 350 personnes ont tenté d’entrer au pays en empruntant la célèbre voie qui permettait de faire plus facilement une demande d’asile au Canada.

La GRC a « remercié les résidants et voisins du chemin Roxham ». « Nous reconnaissons que nos opérations policières ont été un dérangement pour votre qualité de vie. » Le corps policier a dit espérer que son départ « que nous souhaitons être définitif vous amène une paix d’esprit ».

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Catherine Stratford

Mais pour les membres de l’organisme Bridges Not Borders, l’inquiétude subsiste. « Que doit-on faire maintenant si on voit des clandestins ? On ne le sait pas », déplore Catherine Stratford. « Les gens n’arrêteront pas de traverser la frontière. » Et ils risquent de devoir le faire dans des conditions plus dangereuses pour échapper aux policiers qui les renverront vers les États-Unis, s’inquiète-t-elle.

À ce sujet, la GRC déconseille vigoureusement à quiconque de tenter d’entrer de façon irrégulière. « Prétendre que ce sera facile de passer la frontière par les champs ou la forêt, c’est faux. C’est un terrain difficile. Certains traversent avec de jeunes enfants, des personnes âgées, des femmes enceintes. On a vu des tragédies qui sont le résultat direct des risques que ces gens prennent. Ces dernières années, on a dû lancer des opérations de sauvetage pour des gens qui étaient perdus dans le bois. Des gens ont souffert d’engelures sévères, d’hypothermie », a décrit M. Poirier.

Il n’y aura plus de présence de patrouilleurs de la GRC 24 heures sur 24 au chemin Roxham. Au sommet d’un poteau, un arsenal de caméras de surveillance veille sur les lieux. Les patrouilleurs, dit la GRC, continueront de surveiller « tout le territoire ». Les passages sont désormais nombreux du Canada vers les États-Unis, a reconnu le sergent Poirier. « On en voit tous les jours », dit-il.

« On sait qu’il y a des réseaux de passeurs sur le territoire et on a des enquêtes en cours », a indiqué M. Poirier. Ces passeurs demandent « des sommes absolument exorbitantes aux migrants, alors on peut s’attendre à ce que dans un marché illégal aussi lucratif, le crime organisé soit derrière ».

La destruction du bâtiment du chemin Roxham était devenue nécessaire en raison des coûts d’entretien, selon le sergent Poirier. « Depuis 2017, ça se chiffre en plusieurs millions de dollars. »

L’histoire jusqu’ici

Si les nouvelles modalités de l’Entente sur les tiers pays sûrs ont mis fin au flux d’entrées irrégulières au chemin Roxham, le nombre de demandeurs d’asile reste en hausse au Canada. Pour les huit premiers mois de 2023, le pays a accueilli 81 171 demandeurs, contre 53 450 pour la même période de 2022. Les entrées par avion sont passées d’environ 1500 par mois en début d’année à 3970 en juillet et 3220 en août. Si le chemin Roxham était resté ouvert, des milliers de réfugiés l’auraient fort probablement toujours emprunté, et le Canada aurait dû accueillir 30 000 ou 40 000 réfugiés de plus cette année.

Lisez notre dossier « Roxham, six mois plus tard : une accalmie trompeuse »