(Ottawa) Une organisation à but non lucratif qui aide les nouveaux arrivants ukrainiens à s’orienter dans le système d’immigration canadien affirme que de nombreuses personnes qui ont fui la guerre souhaitent rester de façon permanente au Canada, mais que des obstacles les empêchent de commencer leur nouvelle vie.

L’organisme Pathfinders for Ukraine a interrogé 922 familles qui ont fait le voyage vers le Canada grâce à un visa d’urgence temporaire.

Le groupe a constaté que 90 % des personnes interrogées au Canada souhaitent obtenir la résidence permanente, mais que seulement le tiers d’entre elles sont convaincues de pouvoir l’obtenir en vertu des programmes existants.

Bien que le gouvernement offre le statut de résident permanent aux personnes qui ont des parents canadiens, Randall Baran-Chong, le fondateur du groupe, a déploré que très peu de personnes puissent profiter de cette mesure.

« Nous avons constaté qu’il ne s’agissait que de 7 % des personnes », a-t-il noté.

Certains visas devant expirer dans 18 mois, M. Baran-Chong a constaté que l’incertitude pèse lourd sur les épaules de nombreuses personnes.

Il existe également des préoccupations plus concrètes, notamment la question de savoir si les employeurs voudront embaucher des personnes dont le permis de réfugié est limité dans le temps.

« Ils savent que le permis de travail ouvert n’est qu’un peu plus long, alors pourquoi voudraient-ils leur proposer une promotion ou un meilleur emploi, voire les embaucher dès le départ ? » s’inquiète-t-il.

Le groupe prévient que sans programme précis, la grande majorité des personnes qui souhaitent rester au pays ne seront pas admissibles aux programmes d’immigration actuellement en place, notamment en raison de questions liées à la langue, aux finances et à d’autres contraintes.

Offrir quelque chose de bien

Après avoir fui la guerre en Ukraine, l’année dernière, Stella Vitiuk et Nataliia Vabiak ont été embauchées comme comptables dans une entreprise qui a offert des emplois à une poignée de nouveaux arrivants ukrainiens.

Pendant que leurs collègues discutent de leurs projets pour la fin de semaine, les deux dames échangent plutôt des notes sur leurs efforts pour rester au Canada.

Chaque jour les rapproche de l’expiration de leurs visas d’urgence, alors que la guerre qui sévit dans leur pays ne montre aucun signe de ralentissement.

« Je suis une personne forte, mais je me sens stressée, a avoué Mme Vitiuk. C’est difficile pour tout le monde. »

À l’été 2022, Mme Vitiuk a pris la décision difficile de quitter son mari et ses parents pour amener ses deux filles au Canada. « Pour le bien de ses enfants », elle souhaite maintenant pouvoir immigrer de manière permanente au Canada.

« Je veux leur offrir quelque chose de nouveau, quelque chose de bien », a-t-elle expliqué en entrevue avec La Presse Canadienne.

En date du 14 octobre, près de 200 000 Ukrainiens étaient venus au Canada dans le cadre d’un programme de visa d’urgence qui a été en vigueur pendant trois ans.

Il s’agissait d’un programme unique en son genre qui a permis à de nombreux Ukrainiens de venir rapidement au Canada, mais qui n’offre pas les mêmes perspectives et le même soutien à long terme qu’un programme pour les réfugiés ou un volet d’immigration permanente.

La plupart des personnes qui ont profité de ce programme sont des femmes et des enfants, puisque les hommes en âge de combattre n’ont pas le droit de quitter l’Ukraine tant que le pays est sous la loi martiale.

Certaines de ces personnes, comme Mmes Vitiuk et Vabiak, estiment qu’il est peu probable qu’elles soient admissibles à la résidence permanente si une voie d’immigration ciblée n’est pas mise en place.

« Je ne me suis pas préparé, je n’ai pas beaucoup d’argent. J’ai juste pris 5000 $ et je suis venu avec deux enfants », a souligné Mme Vitiuk.

Un programme temporaire

Le ministre fédéral de l’Immigration, Marc Miller, a rappelé que parmi tous les programmes proposés par son ministère, les visas d’urgence accordés aux Ukrainiens fuyant la guerre étaient extraordinaires, tant par leur volume que par l’étendue de la protection qu’ils offrent.

« Mais cela a toujours été censé être de nature temporaire », a-t-il mentionné lors d’une entrevue avec La Presse Canadienne, le 6 novembre.

M. Miller a assuré que le gouvernement fédéral restera flexible, puisque la guerre en Ukraine se poursuit, mais qu’il y a des facteurs diplomatiques et géopolitiques à prendre en compte.

Si j’étais actuellement dans une position de dirigeant en Ukraine, j’aimerais voir certains de mes citoyens revenir pour aider à reconstruire l’Ukraine. Je ne voudrais pas que le Canada fasse obstacle en créant des conséquences imprévues.

Marc Miller, ministre fédéral de l’Immigration

Néanmoins, le ministre Miller a reconnu qu’il s’attend à ce que le Canada doive également être attentif aux circonstances individuelles.

« Si quelqu’un est ici et qu’il a un enfant, et qu’en pratique, ils sont des Canadiens, c’est une discussion que nous aurons », a-t-il tranché, précisant que ce n’est pas une question à laquelle il est prêt à aborder « à court terme ».

Il a reconnu que cela laisse certaines personnes dans une situation précaire entre-temps, mais confirmé que le gouvernement n’envisageait pas de renvoyer qui que ce soit en Ukraine tant que la guerre continue de faire rage.

Vivre dans l’incertitude tout en s’occupant seule de trois adolescents est difficile, a témoigné Mme Vabiak, surtout qu’elle a du mal à trouver des occasions pour améliorer son anglais.

Elle craint également que son mari, qui a dû rester en Ukraine, soit appelé à se rendre au front.

« S’il y va, je ne sais même pas s’il va survivre. C’est vraiment stressant. »

Sans aucune garantie quant à son avenir, elle compte pour l’instant se concentrer sur ce qu’elle peut faire pour ses enfants.

« Parfois on pleure, mais il faut être fort, a souligné Mme Vabiak. Je n’ai pas le choix. J’ai des enfants, je dois penser à eux. C’est pour ça que je suis ici. »