(Ottawa) Le ministre de la Justice, Arif Virani, demeure discret sur les intentions du gouvernement fédéral de nommer un nouvel organisme régulateur qui tiendrait les plateformes en ligne responsables de la protection des utilisateurs contre les contenus préjudiciables.

Interrogé sur la perspective d’une nouvelle agence, M. Virani a déclaré que le gouvernement examine les consultations qui ont eu lieu jusqu’à présent et la manière dont d’autres pays ont affronté la question.

« Nous étudions ce qui a fonctionné dans des juridictions étrangères », a-t-il déclaré.

« Nous travaillons certainement avec différentes entités en ligne, y compris des sociétés en ligne », a ajouté le ministre, soulignant le récent accord que le gouvernement fédéral a conclu avec Google, qui verra le géant de la technologie verser jusqu’à 100 millions de dollars par an aux sociétés de médias.

Ce total est inférieur d’environ 72 millions de dollars à ce que le projet de règlement du gouvernement indiquait qu’il serait dû initialement, en vertu de la Loi sur les informations en ligne, qui oblige les géants de la technologie à indemniser les médias pour les informations republiées sur leurs plateformes.

Confronté à l’obligation de se conformer à cette loi controversée, Google avait menacé de supprimer complètement les informations canadiennes de son moteur de recherche.

La réponse de M. Virani fait suite à une lettre ouverte d’un groupe d’experts, réuni par le gouvernement l’année dernière pour donner des conseils sur une éventuelle nouvelle loi, exhortant le gouvernement à accélérer l’adoption du projet de loi.

Des promesses qui tardent à se concrétiser

Le premier ministre Justin Trudeau avait promis de présenter une loi visant à lutter contre les contenus préjudiciables en ligne dans les 100 jours suivant sa réélection en septembre 2021.

Deux ans plus tard, le dépôt de la loi se fait toujours attendre.

Sa promesse initiale d’agir est venue encore plus tôt. En 2019, M. Trudeau a demandé à son ministre du Patrimoine de l’époque d’introduire des réglementations qui obligeraient les plateformes de médias sociaux à supprimer dans les 24 heures tout contenu illégal, tels que les discours haineux ou les images d’abus d’enfants.

Patrimoine canadien a été saisi ces dernières années de projets de loi très controversés, notamment la Loi sur les nouvelles en ligne et la Loi sur la diffusion continue en ligne, qui visent à mettre les plateformes de diffusion en continu en conformité avec les règles de la radiodiffusion.

C’est dans ce contexte que la responsabilité de déposer un projet de loi sur les méfaits en ligne a été transférée au ministre de la Justice après un remaniement ministériel en juillet.

Ceux qui souhaitent un projet de loi sur les méfaits en ligne reconnaissent qu’il pourrait être encore plus controversé.

Une fine ligne entre contrôle et censure

Des experts et d’autres ont déclaré, dans la lettre ouverte de cette semaine, que la législation doit créer un régulateur doté du pouvoir d’enquêter et d’auditer les plateformes, d’ordonner des mesures correctives et d’imposer des amendes.

En 2021, le gouvernement a publié un plan sur la manière dont il obligerait les sociétés de médias sociaux à traiter les contenus nuisibles sur leurs plateformes.

Cela comprenait l’embauche d’un commissaire à la sécurité numérique qui appliquerait les règles obligeant les entreprises à supprimer le contenu des images d’abus sexuels sur des enfants du matériel terroriste. Ottawa propose également d’exiger des entreprises qu’elles suppriment tout contenu signalé dans les 24 heures suivant une plainte.

Le cadre a été vivement critiqué pour avoir porté atteinte aux protections de la liberté d’expression contenues dans la Charte canadienne des droits et libertés.

Les universitaires et autres défenseurs qui ont pesé sur ces mesures se sont également interrogés sur les pouvoirs dont disposerait un commissaire à la sécurité numérique et sur la manière dont un tel régulateur fonctionnerait et appliquerait les règles.

Faire les choses correctement

M. Virani a déclaré ces dernières semaines qu’il espérait déposer prochainement un projet de loi, mais a souligné qu’il était difficile d’élaborer des réglementations lorsqu’il s’agissait des géants des médias sociaux.

Vendredi, il a déclaré qu’il était essentiel que le gouvernement fasse les choses correctement lorsqu’il s’agit d’améliorer la sécurité en ligne des enfants et d’autres groupes vulnérables.

« Nous y travaillons avec beaucoup de diligence en termes d’aspects liés au Code criminel, à la Loi canadienne sur les droits de la personne et à la manière dont nous abordons les problèmes liés à ce que nous voyons en ligne », a fait savoir le ministre.

« Les conflits géopolitiques » conduisent à une montée de la haine en ligne qui peut ensuite se manifester par des violences physiques, a-t-il ajouté.

M. Virani n’a pas spécifiquement cité la guerre entre Israël et le Hamas, bien qu’il ait fait référence à des messages récents de la police et des dirigeants des communautés juives et musulmanes du Canada.

Lianna McDonald, directrice générale du Centre canadien de protection de l’enfance, s’est dite très préoccupée par l’absence de législation pour lutter contre les méfaits en ligne.

Elle a déclaré que les plateformes en ligne doivent faire preuve de plus de responsabilité et de transparence en ce qui concerne le contenu de leurs sites, ainsi que les mesures qu’elles prennent pour accroître la sécurité des enfants.

« Ces entreprises, tout comme nous le voyons dans le monde hors ligne, devraient être responsables de s’assurer qu’il s’agit d’environnements sûrs », a plaidé Mme McDonald.

Elle a ajouté qu’elle estime que les réformes devront être accomplies par le biais de réglementations et sous la menace d’amendes.

« C’est en quelque sorte anarchique, a-t-elle ajouté. Ils doivent être responsables lorsque des enfants utilisent des plateformes. »

Mme McDonald a ajouté que l’Australie avait un commissaire à la sécurité en ligne, affirmant qu’elle soutiendrait le développement d’un modèle similaire au Canada.